Succession de Patrice Talon/Romuald Wadagni : le gâchis ?  

Succession de Patrice Talon/Romuald Wadagni : le gâchis ?  

Après l’éviction surprise du cousin Johannes Dagnon, le nom de l’éternel ministre de l’économie revient au-devant des pronostics pour la succession de Patrice Talon. Mais si Romuald Wadagni devient président en 2026, ce sera quasi-exclusivement par la volonté de l’actuel président, puisqu’en huit années de ministère, le natif de Lokossa n’aura jamais réussi à se tailler un costume d’homme politique. Un handicap que l’homme a pratiquement deux années pour corriger.

Julien Coovi

Romuald Wadagni sera-t-il le successeur de Patrice Talon ? Après avoir été écarté un temps par le choix perçu comme le plus sécurisant pour le chef de l’État, la question se pose à nouveau. Et pour cause ! Sur un coup de sang du président Talon, Johannes Dagnon a été débarqué sans ménagement le 9 avril dernier, laissant la course pour le dauphinat plus ouverte que jamais. Mais à la seule condition que Patrice Talon ne veuille pas briguer un 3e mandat. Mais ça, c’est une autre paire de manche sur laquelle nous reviendrons. Et même si Romuald Wadagni pense au fauteuil du président de la République en se rasant chaque matin, il n’a pour l’instant posé aucun acte, envoyé aucun signal politique, si minime soit-il, pour se tailler le manteau de présidentiable nécessaire à une ambition aussi grande.

Technocrate brillant

Dans une classe politique en plein renouvellement, Romuald Wadagni avait tout pour devenir l’une des figures politiques les plus importantes du Bénin, pour les 20, voire les 30 prochaines années. À seulement 40 ans l’ancien analyste financier du cabinet français Deloitte avait pris les rênes du ministère de l’économie et des finances dès avril 2016 pour mettre en œuvre la politique économique de ce qui s’appelait encore ‘’le pouvoir de la Rupture’’. Jeune, fringant, mais surtout brillant esprit, le ministre des finances avait très vite séduit un public béninois éprouvé et lassé par 10 ans de gabegie du Yayisme. Il était également l’arme secrète du président Talon pour séduire des partenaires financiers que la grande corruption de l’administration béninoise avait fini de décourager.

Romuald Wadagni s’était très vite montré à la hauteur de la mission. En très peu de temps, il avait remis de l’ordre dans les finances publiques. Il avait identifié et bouché la plupart des tuyaux par lesquels les ressources nationales étaient siphonnées. Avant 2016, chacun se servait dans la caisse de l’État. Chaque ministre, ses conseillers et ses cadres disposaient des ressources de leur ministère comme bon leur semblait, les directeurs s’accaparaient du budget de leur direction, le préfet, le Maire faisaient de même. Romuald Wadagni dit avoir mis un terme à cette corruption équitable, ouverte et généralisée. Aujourd’hui, l’opposition reproche au Ministre des finances d’avoir centralisé la corruption dans les cercles du pouvoir. Le bénéfice de l’opacité dans les marchés publics est aujourd’hui réservé aux seuls proches de Patrice Talon et de Olivier Boko. Patrice Talon et son clan mangent seuls ce qu’une armée de ministres, de directeurs, de conseillers et de politiciens se partageaient sur le dos du peuple béninois. « La corruption n’a pas été enrayée, elle a changé de cercle et de bénéficiaires » disent les acteurs de la société civile. Dans le même temps, Romuald Wadagni a optimisé les résultats des différentes régies financières de l’État. Les recettes de l’état ont considérablement accru, permettant au budget général de l’état d’atteindre des niveaux records. Grâce à son réseau et à son bagou, le Bénin est redevenu crédible sur les déférentes plateformes financières et auprès des partenaires. Comment ne pas penser que l’auteur d’une telle prouesse a les moyens d’imposer sa stature sur la scène politique et de peser sur la succession de son mentor.

Collaborateur dévoué

Selon le gouvernement béninois, le Bénin, sous la férule de Romuald Wadagni, est devenu l’une des meilleures économies de l’Uemoa et n’a de cesse de collectionner les couronnes des agences de notation. Mais il y a l’envers du décor. Les résultats dont se vante le gouvernement et son ministre des finances, ce sont ceux d’une politique économique que beaucoup d’adversaires du régime dénoncent pour « son ultra-libéralisme, sa reconfiguration quasi-exclusive au profit des intérêts privés du clan Talon, et pour sa facture sociale extrêmement élevée ». Les détracteurs de Romuald Wadagni lui reprochent, l’insensibilité, le zèle et le dévouement dont il fait preuve dans l’exécution de ce programme économique. Personne en effet n’a oublié la façon dont il avait justifié les taxes sur la connexion internet instaurée en 2018. Lors d’un forum consacré à l’investissement le 28 août 2018, le ministre des Finances, avait expliqué que le coût de la connexion internet ne serait renchéri que pour ceux qui font un usage ludique de la connectivité ou qui effectuent des « transferts d’images qui critiquent le gouvernement ». Ces propos avaient alors suscité une vague d’indignations sur les réseaux sociaux et dans l’opinion publique. « C’est le genre de déclaration que n’aurait jamais fait un ministre avec un peu plus d’expérience politique », explique un politologue. « Le ministre Wadagni n’a jamais réussi à se remettre de cette bourde », constate-t-il. Mais a-t-il seulement essayé ?

Audace politique

Romuald Wadagni s’est-il volontairement enfermé dans son rôle de technocrate ? L’aurait-il fait pour éviter de contrarier son patron ou par peur de construire sa propre voie, comme le font courageusement certaines personnalités de la jeune génération tels que l’ancien ministre des sports, Oswald Homéky, le professeur Joël Aïvo, l’ancienne garde des sceaux, Réckya Madougou ou encore Komi Koutché, son prédécesseur au ministère des Finances ? Pour ses quelques admirateurs qui rêvent pour lui d’un destin plus ambitieux que celui du simple collaborateur d’un chef d’État, Romuald Wadagni reste une énigme. Pour certains observateurs, Romuald Wadagni est même une déception, un flop, un gâchis. Le 4 juillet dernier, alors que des frétillements avaient commencé à monter autour de son nom, Romuald Wadagni coupe court à travers un communiqué laconique et cinglant derrière lequel plusieurs analystes ont vu la main du président de la République. « À ce jour, il est prématuré et indécent de s’engager dans le débat sur les élections présidentielles de 2026 (…) Je suis entièrement et exclusivement dévoué à la mission que son excellence le président Patrice Talon m’a confiée », s’était-il fendu sur sa page Facebook. Et pour bien signifier qu’il ne plaisantait pas, le ministre des Finances a assigné devant la CRIET quelques semaines plus tard, un jeune acteur politique qui a partagé dans des groupes Whatsapp, une bannière suscitant sa candidature. Une maladresse politique. L’individu a comparu devant ses juges le 9 octobre et son procès avait été reporté au 18 décembre, selon La Nouvelle Tribune. Depuis, les rumeurs se sont tues et Romuald Wadagni est retourné dans l’anonymat de son statut de collaborateur docile.

Faible légitimité populaire

La vérité est que pendant longtemps Patrice Talon a entretenu chez son jeune ministre, l’illusion d’un dauphinat auquel il n’avait pourtant jamais cru. Il avait lui-même sans doute commencé à croire que le moment était arrivé, suite à l’affaiblissement et aux départs successifs du gouvernement de ses collègues Aurélien Agbénonci, Sévérin Maxime Quenum et récemment Oswald Homéky, trois personnalités réputées proches d’Olivier Boko. Le ministre des finances devenu entretemps ministre d’État, aurait alors joué un rôle important dans leur remplacement. Ce statut de super-ministre, faiseur et défaiseur de ses collègues, avait été interprété par ses admirateurs comme la preuve de ce qu’il était “l’élu”. Romuald Wadagni a pris du volume dans l’entourage du président Talon, c’est sûr. Il se dit que le Ministre d’État, Ministre des finances a la haute main sur les dossiers sensibles du gouvernement Talon. Les dossiers qui ont échappé à Olivier Boko ces derniers mois, c’est Romuald Wadagni qui les a récupérés et générés. La plupart des hauts cadres qui ont été déployés dans les grandes directions et dans les agences proviendraient de l’écurie du jeune Ministre des finances. C’est cette montée en puissance qui a fondé beaucoup de ses admirateurs à soutenir que Wadagni à la confiance de Talon et qu’il est sans doute, l’homme de la situation.

Malheureusement, les fonctions de Wadagni, sa longévité record à la tête de l’économie béninoise et la confiance dont il jouit auprès du chef de l’État, n’ont suffi à bâtir une carrière politique solide et surtout à lui ouvrir des perspectives politiques pour l’avenir. Comment en effet un homme qui a eu autant de pouvoirs, qui contrôle une partie de l’administration béninoise n’a t-il pas réussi à se forger une aura et à donner envie à ses compatriotes ? C’est la grande question que se posent certains admirateurs de Romuald Wadagni. En plus, à la différence de Joseph Djogbénou, Olivier Boko et d’autres acteurs de la mouvance, le jeune Ministre des finances n’a pas mis la main dans le cambouis. Sa réputation est sauve car son costume n’est pas sale de la graisse crasseuse qui a éclaboussé tous ceux comme Djogbénou qui ont démantelé les acquis de la conférence nationale à coup de lois problématiques et de discours incendiaires.

Même si les Béninois reprochent à Wadagni sa politique inhumaine, l’opacité de la gestion des finances publiques, ils ne le tiennent pas responsable de la casse de notre démocratie et de l’arrogance qui a mis à mal le modèle politique béninois et le vivre ensemble. Autant dire, que Romuald Wadagni partait avec des handicaps mineurs et des atouts non négligeables. Mais de cela, rien n’y fit et à deux ans de la fin de la présidence Talon, Wadagni est toujours aussi discret politiquement, sans équation personnelle, sans fief apparent, sans discours majeur, sans équipe. Il est demeuré, le technocrate qu’il est et l’on peine à voir l’homme d’État qui est en lui.

Est-il tombé dans le jeu de Talon qui ne joue que pour lui-même ?

Dans le Mono, son département d’origine qui aurait pu également être son principal fief électoral, le manque d’audace politique de leur poulain est vécu comme une trahison. « Les choses auraient certainement été différentes si le Covid n’avait pas emporté son père », commente un jeune militant UP-R de la section d’Athiémé. Ancien cadre du PSD, Nestor Wadagni était en effet l’une des personnalités politiques les plus importantes de la galaxie Talon. Comme le vieux Bruno Amoussou, l’ex-inspecteur des finances avait rallié l’homme d’affaires Patrice Talon très tôt, au détriment même de la candidature de leur camarade Emmanuel Golou. Ce risque politique qu’il a pris lui a valu de rester jusqu’à sa mort l’un des conseillers politiques les plus écoutés de Patrice Talon. Selon notre source, le fils Wadagni avait confié tout son plan de carrière à l’expérience de son père. Il comptait sur sa connaissance du terrain et sur ses réseaux pour se construire une assise territoriale. « Quand vous êtes le bon petit d’un chef comme Patrice Talon et qu’en plus vous pouvez compter sur un père pour vous baliser le chemin, vous ne vous salissez pas à descendre sur le terrain et à vous salir les souliers en essayant de vous construire une légitimité populaire », commente un éditorialiste.

Voilà peut-être une explication plausible du manque de connexion du ministre avec le terrain. Il est vrai qu’avec un chef comme Patrice Talon, tenter de se faire aimer par le peuple peut coûter cher. Mais selon un cadre du Moele-Benin qui a requis l’anonymat, Romuald Wadagni a l’avantage d’être le ministre de l’économie, celui-là dont les décisions et les actes impactent directement l’activité du petit commerçant, celle de l’artisan ou de l’entrepreneur, autant que l’activité des grandes entreprises et des plus riches. « S’il le voulait, il aurait de toutes les façons, trouvé le moyen d’aller toucher du doigt ses résultats sur le terrain, plutôt que de se cacher derrière les statistiques et les notes de ses anciens collègues des agences de notations », lance-t-il.

Pourquoi Romuald Wadagni n’a pas décollé en huit ans au Ministère de l’économie et des finances ? Pourquoi malgré les moyens qu’il a acquis, malgré le pouvoir qu’il détient, malgré son influence dans le gouvernement et enfin malgré la confiance de Patrice Talon, Romuald Wadagni n’est pas devenu une figure politique importante du pays et logiquement un acteur clé de la succession de Patrice Talon ? Les explications ne manquent pas. Mais de deux choses, l’une. Soit c’est parce que le Ministre d’État, ministre des finances de Patrice Talon a été victime de la ruse de son patron. Selon certains, Wadagni a été endormi par la confiance du Président qui lui a fait croire de bout en bout qu’il est son dauphin alors qu’il avance ses pions pour un autre plan. Romuald Wadagni se serait fait piéger par le clan Talon qui l’a anesthésié pour jouer la carte Dagnon au dernier moment. Soit, le Ministre des finances connaît mieux que quiconque ses atouts et ses faiblesses. Ayant conscience de ses propres limites, le natif de Lokossa se serait autocensuré sur sa capacité à conquérir le pouvoir et à diriger le pays. Après tout, diriger un pays est bien plus difficile que diriger un ministère. C’est une ambition qui requiert un courage, une détermination et une habilité que Romuald sait qu’il n’a pas. C’est la deuxième explication de l’apathie du tout puissant ministre des finances de Patrice Talon.

Olivier Boko, Johannes Dagnon et Joseph Djogbénou désormais hors-jeu, Romuald Wadagni trouvera-t-il la force d’assumer enfin ses ambitions présidentielles ? Au moins les a-t-il refoulées pour l’instant, en attendant la fin de l’ère Talon. Réussira-t-il à se lancer un jour ?

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