Modification du code électoral : voici les raisons pour lesquelles la Cour constitutionnelle ne peut pas le valider

Modification du code électoral : voici les raisons pour lesquelles la Cour constitutionnelle ne peut pas le valider

Les amendements adoptés le 5 mars dernier comportent de nombreuses dispositions dont le conflit avec la constitution et des décisions antérieures de la cour constitutionnelle, est manifeste. Le professeur Dorothée Sossa se montrera-t-il plus rigoureux et plus sérieux que son étudiant Djogbénou ?

Posons-nous d’emblée les questions les plus importantes de ce débat sur la modification du code électoral : les députés Aké Natondé et Ahouanvoébla Augustin ont-ils lu la Constitution ? Orden Alladatin, le président de la commission des lois et Louis Vlavonou, le président de l’Assemblée Nationale se souviennent-ils du contenu de la loi 2019-40 portant révision de la constitution qu’ils ont fait passer au forceps en novembre 2019 avec la complicité du professeur Djogbénou ? Enfin, Joseph Djogbénou, l’actuel président du parti auquel appartiennent toutes les personnes citées ci-dessus, se souvient-il des décisions qu’il avait rendues sur la question du parrainage, ou a-t-il été tenu à l’écart de cette nouvelle forfaiture législative ?

Les questions s’imposent au regard de la grossièreté des amendements apportés au Code électoral le 5 mars dernier. Le député UPR Augustin Ahouanvoébla avait prévenu ses collègues de l’opposition de la violence des représailles que préparait le pouvoir après le rejet du projet de modification de la constitution quelques jours plus tôt. « Moi je travaillerai désormais pour que mon parti obtienne les 80% des élus à l’assemblée nationale et dans les mairies, aux prochaines élections générales », avait déclaré le transfuge du PRD. Personne ce jour-là n’était dupe des moyens auxquels faisait allusion l’un des élus les plus fanatiques du camp présidentiel. Et ça n’a pas raté.

Le mardi 5 mars, au bout de la nuit et au bout d’une longue délibération, le verdict est tombé. À l’initiative d’Augustin Ahouanvoébla et d’Aké Natondé, les seuils d’éligibilité sont relevés, ils passent de 10% des suffrages exprimés au plan national à 20% par circonscription. Corsé également, le critère de parrainage pour la candidature à la présidence et à la vice-présidence de la République. Désormais, il faudra recueillir la signature, non plus de 10%, mais de 15% des députés et des maires, qui plus est, dans au moins 3/5 des circonscriptions électorales. De quoi exclure définitivement l’opposition de toute compétition démocratique au Bénin et plonger à coup sûr dans un nouveau cycle de violences.

Violation de la Constitution

Tous les regards sont à présent tournés vers la Cour constitutionnelle qui reste le dernier rempart contre cette nouvelle initiative que l’opposition et la société civile jugent chrysogène. Dans une déclaration rendue publique dès le lendemain du vote, la plateforme indique que “l’adoption du Code électoral relu le 05 mars 2024, vient annihiler ses efforts inlassablement fournis par la Société civile en vue de contribuer à des processus électoraux inclusifs et pacifiques dans notre pays.”

Au nombre des raisons pour lesquelles le nouveau code devrait être cassé par la Cour constitutionnelle, figure donc la préservation de la paix. Pour beaucoup, les nouvelles dispositions introduites dans le texte ne peuvent qu’alimenter de nouvelles tensions, vu qu’elles renforcent les conditions d’exclusion de l’actuelle minorité parlementaire. Mais au-delà de ces considérations, il y a les contradictions patentes de plusieurs de ces dispositions avec le bloc de constitutionnalité.

Liberté de parrainer

Alors qu’il n’est prévu nulle part dans la Constitution qu’il faille appartenir à un parti politique pour avoir le droit de briguer la magistrature suprême, les nouvelles règles en matière de parrainage des candidats à l’élection présidentielle disposent que les élus ne peuvent parrainer que les candidats choisis ou autorisés par leur parti. Autrement dit, nulle ne peut être président de la République s’il n’appartient ou n’est soutenu par un parti politique. Pour de nombreux juristes, cette disposition outrepasse celle de l’article 44 nouveau de la Constitution.

De même, cette disposition viole l’article 80 de la Constitution qui consacre la non-impérativité du mandat des députés : « Chaque député est le représentant de la Nation tout entière et tout mandat impératif est nul », dit l’article 80 nouveau. Obliger le député à ne parrainer qu’un candidat choisi par le parti revient à le contraindre dans son mandat. Un détournement de la loi que devrait retoquer la Cour constitutionnelle, si elle reste fidèle à sa jurisprudence. Dans la décision EP 21-012 rendue du 17 février 2021, la Cour, alors présidée par Joseph Djogbénou, avait jugé que “l’acte de parrainage est un engagement unilatéral à soutenir un candidat à l’’élection du président de la République et les élus ont la liberté d’accorder leur parrainage aux candidats de leur choix.

Même si sous la gouvernance de la Rupture, la Cour constitutionnelle du Bénin n’est plus à une contradiction près, il est difficile d’imaginer aujourd’hui qu’elle remette en cause cette décision et juge que l’acte de parrainage n’est plus un engagement unilatéral à soutenir un candidat et que les élus ne sont plus libres de parrainer qui ils veulent.

Souveraineté

L’autre point d’inquiétude de la nouvelle loi, ce sont les conditions d’éligibilité des députés et des conseillers communaux et municipaux. Alors que le critère des 10% des suffrages au plan national avait déjà été à la base d’une crise importante, les nouvelles dispositions prévoient qu’il faille désormais réunir 20% dans chaque circonscription. Autrement dit, le parti qui recueille 52% des suffrages exprimés au plan national, peut se retrouver sans le moindre élu parce qu’il lui manque un millier de voix dans une seule circonscription. Dans le même temps, deux partis qui ne pèsent ensemble que 35% des voix pouront rafler tous les sièges parce qu’ils se seraient entendus pour se couvrir mutuellement de leurs déficits de voix dans certaines circonscriptions. Selon plusieurs experts, cette nouvelle règle viole la Constitution en son article 3 qui dispose que “ La souveraineté nationale appartient au Peuple. Aucune fraction du Peuple, aucune communauté, aucune corporation, aucun parti ou association politique, aucune organisation syndicale ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.” Elle viole également l’article 81 nouveau de la Constitution qui dispose que “la loi fixe le nombre des membres de l’Assemblée nationale, les conditions d’éligibilité, le minimum de suffrages à recueillir par les listes de candidature au plan national pour être éligibles à l’attribution des sièges.”

Au plan national ! Là encore, la Cour constitutionnelle aura du mal à valider ces dispositions, sans apparaître comme une chambre d’enregistrement des desiderata du pouvoir, et sans assumer que loin d’être une solution, elle est une partie intégrante du problème. 

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