Avec ces licenciements déguisés, les hommes en armes du Bénin comprennent peut-être enfin ce pour quoi les civils luttent depuis 8 ans.
Par Bruno Charles
700 militaires, 315 policiers, 30 douaniers et 29 Forestiers. Ils sont plus de 1000 agents des forces de défense et de sécurité du Bénin à avoir découvert il y a quelques jours, en arrivant au boulot, qu’ils avaient été sélectionnés pour aller à la retraite à partir du 1er février 2024. Même s’ils savent depuis plus de trois ans qu’une sorte d’épée de Damoclès était suspendue au-dessus de leurs têtes avec la modification des lois relatives à leurs statuts, ces agents ne s’attendaient certainement pas à ce qu’elle s’abatte sur eux avec une telle violence un beau matin. En témoignent les nombreux cas de crise cardiaque signalés par les médias béninois dans les rangs des néo-retraités. Beaucoup d’entre eux n’ont pas pu tenir le choc du fauchage de leur carrière.
Solitude
Forcés à la retraite ou pas, les militaires, policiers, douaniers et forestiers béninois en général vivent cette décision comme une terrible injustice, et surtout comme une mesure d’intimidation à l’encontre de tout agent à qui il prendrait l’envie de ne pas obéir les yeux fermés aux ordres qui viendraient du gouvernement. ‘’Tuer le coq pour faire peur au singe’’, dit un dicton chinois.
La série de lois adoptées en juillet 2020 sur le statut particulier des différents corps des forces de défense et de sécurité du Bénin, consacrait une violation flagrante du principe d’égalité entre les citoyens, un principe consacré par la constitution. Elles ont pourtant passé sans problème le contrôle de constitutionnalité, à la grande surprise des agents concernés. Trois ans et demi plus tard, ils se sentent encore plus seuls après la mise en application concrète des lois en question. À part quelques réactions de part et d’autre, la mise à la retraite forcée de ces 1000 et quelques agents n’a pas provoqué la vague d’émotion et d’indignation que les FDS auraient espérée.
Retour de bâton
Et pour cause ! L’opinion publique béninoise a de la mémoire. Elle sait que les lois querellées ont été votées par le parlement monocolore installé en 2019 suite à des législatives auxquelles, pour la première fois depuis la conférence nationale l’opposition n’a pas pu participer. Ils se souviennent surtout que ce sont eux, les hommes en arme, que le pouvoir avait utilisés pour réprimer les manifestations consécutives aux différentes élections exclusives organisées entre 2019 et 2021. Est-ce que ces lois seraient passée si l’opposition avait pu participer aux législatives de 2019 ? C’est une question qui prend tout son sens aujourd’hui que les FDS subissent le même traitement arbitraire que les petits commerçants ou artisans dégagés sans ménagement de leurs lieux de d’activité, les travailleurs licenciés, les opérateurs économiques traqués et poussés à l’exil, les opposants raflés et jetés en prison, à chaque fois en s’appuyant sur l’armée et la police.
Devoir de désobéissance
La constitution béninoise prévoit en son article 19 que « tout individu, tout agent de l’État est délié́ du devoir d’obéissance, lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques. » les ordres reçus et exécutés les 1er et 2 mai 2019 étaient-ils respectueux des droits de l’homme et des libertés publiques ? Le gazage d’anciens présidents lors de manifestations publiques contre l’exclusion, ou le siège de la maison du président Yayi étaient-ils respectueux des droits de l’homme ? Rien n’est moins sûr. En revanche, les derniers événements pourraient bien avoir sensibilisé les agents des forces de de défense et de sécurités du Bénin au sentiment d’injustice qui anime leurs compatriotes civiles depuis bientôt 8 ans.