Patrice Talon a-t-il parlé trop vite après sa réélection controversée en avril 2021, ou savait-il depuis le début qu’il essaierait de se maintenir au pouvoir ? À maintes reprises depuis l’élection présidentielle de 2021 qu’il a remportée haut-les-mains en l’absence de ses principaux challengers, le président béninois s’est engagé à ne pas céder à l’épidémie des troisièmes mandats qui a causé tant de crises dans les pays africains. Il l’a dit dans la presse internationale avant son investiture, il l’a répété devant l’assemblée nationale lors de plusieurs événements internationaux où la question lui a été posée.
Pas plus tard qu’en octobre 2023 , le chef de l’État béninois renouvelait son engagement tout en rappelant à ceux qui doutent encore de sa sincérité, que c’était lui qui était à l’origine de la disposition qui interdisait à vie la possibilité de faire trois mandats présidentiels au Bénin. L’engagement présidentiel avait été renouvelé avec tellement de conviction que même ses adversaires les plus radicaux avaient commencé à penser que Patrice Talon était peut-être plus sincère cette fois-ci que lors de son premier discours d’investiture le 6 avril 2016, lorsqu’il promettait de « faire de son mandat unique, une exigence morale ».
Mais comme le dit la maxime, « les promesses politiques n’engagent que ceux qui y croient ». Pendant que le président béninois renouvelait à l’envie sa promesse, il préparait minutieusement son plan. Patrice Talon à qui ses adversaires et une bonne frange de la population reprochent d’entretenir depuis son arrivée au pouvoir une tension politique permanente, en plus d’une certaine opacité dans la gestion des ressources publiques, semble n’avoir jamais pensé à quitter le pouvoir.
Le tête-à-tête avec Yayi
Selon la constitution, même dans sa version du 7 novembre 2019 mise en place par le parlement monocolore, le président Talon ne pourrait pas se présenter pour un troisième mandat. Il faut donc soit faire sauter la limitation des mandats, soit comme en Côte-d’Ivoire, remettre les compteurs à zéro pour tout le monde. C’est cette dernière option qui aurait la préférence de Patrice Talon. Le prétexte pour arriver à une nouvelle constitution, donc à une nouvelle république, serait de retoucher aux critères d’âge (35 – 75 ans, au lieu des 40-70 ans actuels). C’est avec cette idée qu’il a essayé d’appâter l’ancien président Boni Yayi lors du huis-clos qu’il a eu avec lui juste avant la séance de travail du 27 novembre dernier. Un proche de Boni Yayi nous renseigne que c’est le refus catégorique de l’ancien président de donner sa caution à un tel projet, qui expliquerait l’attitude irascible et l’intransigeance que le président Talon a affichées lors de la rencontre. Même si, nous confie une source interne des Démocrate , l’ancien chef de l’état ne serait pas contre le projet de déposséder les élus des formulaires de parrainage pour les remettre entre les mains du bureaux exécutifs des partis.
Des mandats de 7 ans
Le weekend dernier, Patrice Talon a réuni les acteurs politiques de son camp pour les informer de son projet. Le samedi 2 décembre 2023, le chef de l’État a reçu tout le bureau exécutif du Bloc Républicain pour évoquer la question. Il avait déjà fait le même exercice avec quelques responsables de l’Union Progressiste le Renouveau (UPR) pris individuellement, dont le professeur Joseph Djogbénou. Le lendemain, 03 novembre le chef de l’État a reçu tous les députés de la 8e législature qui n’ont pas été reconduits. À tout ce gratin, Patrice Talon les a informés des détails de sa réforme et de sa stratégie pour y arriver, avant de les envoyer en mission. Il entend instaurer désormais un mandat de 7 ans pour le président de la république et mais aussi pour les membres de l’assemblée nationale. Et pour s’assurer le soutien des anciens députés qui lui reprochent de les avoir sevrés après les loyaux services qu’ils lui ont rendus lors de la précédente révision, Patrice Talon s’est engagé à leur verser chacun 15 millions de francs CFA, équivalents à leur prime de sevrage.
La stratégie
Patrice Talon sait qu’en fin de mandat et alors que même dans son camp de plus en plus de voix s’élèvent pour exprimer leur ras-le-bol et leur soif de changement, ce nouveau projet sera une véritable gageure. Il faut donc faire vite et installer très tôt dans l’esprit de chacun la possibilité pour Patrice Talon de se représenter afin de décourager les ambitions qui s’expriment dans son camp et remobiliser les fameux ‘’grands électeurs’’ autour de sa personne. Une source bien renseignée nous informe qu’au lieu d’assumer le projet, c’est par un faux recours porté par un citoyen fictif que la Cour Constitutionnelle se saisira dans les semaines à venir des questions qui feront l’objet de révision. La technique a déjà été utilisée en janvier 2019 quand il s’était agi d’exclure l’opposition des législatives. Le recours avait alors permis à la cour Djogbénou de créer le Certificat de Conformité et d’en confier la délivrance au ministre de l’Intérieur. La suite appartient à l’histoire. Dans le cadre du présent projet de révision, Dorothée Sossa se chargera de déclarer certaines dispositions du code électoral contraires à la constitution et déclencherait ainsi le processus de révision.
« L’outrance de trop »
Le moins qu’on puisse dire est que l’idée a du mal à passer au sein même de la mouvance présidentielle où certaines figures avaient déjà commencé à assumer leur besoin de changement. « Ce sera l’outrance de trop », nous a confié un ancien député qui estime que président a plus à perdre dans une tentative désespérée de se maintenir au pouvoir, que de se retirer simplement par la grande porte.