(Ce texte d’Olivier Allochémè a été publié le 06 janvier 2021)
Il y a exactement deux ans, s’achevait devant la Criet à Porto-Novo, la saga politico-judiciaire lancée huit mois plus tôt avec l’arrestation du constitutionnaliste qui avait tenté de se présenter à l’élection présidentielle d’avril 2021. À l’occasion du deuxième anniversaire de ce procès surréaliste, et alors que la situation semble plus bloquée que jamais, nous vous proposons de relire le coup de gueule de notre confrère Olivier Allochémè contre une justice qui « condamne sans preuves ».
Il y a exactement un an, les hordes de Donald Trump s’étaient ruées sur le Capitol avec l’objectif affiché de faire un coup d’Etat. Jusqu’à présent, Trump et ses partisans continuent à clamer partout aux Etats-Unis que Joe Biden leur a volé l’élection du 20 novembre 2020.
Il y a exactement un mois, le lundi 06 décembre 2021, Joël Aïvo a été condamné à Porto-Novo pour « complot contre la sûreté de l’Etat » et « blanchiment de capitaux ». Dans le premier cas, les meneurs de l’attaque et certains de ceux qui y ont participé ont été poursuivis et condamnés. A aucun moment, Donald Trump lui-même au nom de qui toute cette furie a été déployée, n’a été inquiété. Pas parce qu’il n’a pas réellement organisé cette attaque, mais parce qu’aucune preuve matérielle n’a été trouvée pour prouver sa culpabilité. Dans le second cas, par contre, non seulement les organisateurs supposés de ce « complot » jamais exécuté ont été condamnés à 10 ans de prison ferme (Ibrahim Bachabi Moudjaïdou et Boni Saré Issiakou), mais aussi celui au nom de qui ils auraient eu l’intention de faire le putsch, en l’occurrence Joël Aïvo.
Je ne suis pas juriste et j’ai toujours trouvé que le droit est l’une des sciences les plus répugnantes qui puissent exister. Mais je peine à comprendre pourquoi Donald Trump n’a même pas été cité à comparaitre aux Etats-Unis, alors qu’ici Joël Aïvo a été arrêté, jugé et condamné. Or, il s’agit bien de coup d’Etat dans les deux cas, l’un ayant été tenté et l’autre n’ayant même pas connu un début de tentative.
On peut supposer que les deux coaccusés de Joël Aïvo méritent même la peine de mort pour avoir eu l’intention d’attenter à la sûreté de l’Etat. Une fois qu’un discours de prise de pouvoir ainsi que d’autres équipements militaires rassemblés ont été retrouvés en leur possession, il est impossible de nier qu’ils avaient l’intention d’organiser quelque chose. Mais alors où sont les preuves matérielles que le juge a pu rassembler contre Joël Aïvo ? Jusqu’aujourd’hui, il n’a pas pu trouver une seule preuve matérielle qui accable le professeur de droit. Autrement dit, l’enquête a littéralement échoué à montrer en quoi le prévenu a pu organiser, financer, participer au crime. L’enquête a échoué à nous montrer clairement que Joël Aïvo a pu donner ne serait-ce que des instructions à l’un ou l’autre de ses co-accusés. On ne peut condamner un être humain à 10 ans de prison sur de simples soupçons.
Je ne dis nullement que le professeur de droit n’a rien organisé ou qu’il n’a eu aucune intention. Mais je dis que la justice que nos impôts paient, les magistrats que notre argent nourrit tous les jours, sont payés précisément pour dire le droit sur la base de preuves palpables et tangibles.
Je connais bien la chanson. Dans notre pays, lorsqu’un magistrat véreux ne veut pas faire son travail, il se cache derrière les pressions politiques. Mais c’est bien dans ce même Bénin que le juge Angelo Houssou a sorti les ordonnances ayant blanchi Patrice Talon, en pleine période de braise. Le titre du livre qu’il a publié à ce sujet est bien édifiant : « Je ne suis pas un héros ». Le juge qui rend sa décision au nom de la loi n’est pas un héros. Il ne fait que son travail. Et en l’occurrence, le magistrat qui fait le contraire ne mérite pas de siéger dans un tribunal ou une cour : sa place est ailleurs. Qui vous a dit que juger les autres et les jeter en prison est une partie de plaisir ?
Depuis toujours, les pouvoirs publics cherchent à noyauter la justice béninoise. Que personne ne vienne me dire qu’il a rendu telle décision parce qu’on lui a mis la pression : les pressions font partie du travail d’un magistrat dans tous les pays du monde. Après tout, c’est bien en France que l’ancien juge Claude Butin a publié en septembre 2021 ce livre dont le titre parle de lui-même : « Ne faites jamais confiance à la justice de votre pays ».
En clair, la justice qui veut faire croire que quelqu’un lui dicte ses décisions, est la pire arme contre chacun des membres du gouvernement. Tôt ou tard, un juge véreux sera utilisé pour les condamner sur la base de soupçons et non de preuves, tout en faisant croire qu’il est victime de pressions. Tôt ou tard.
Olivier Allochémè