Lettre ouverte au président français, Emmanuel Macron

Emmanuel Macron

Monsieur le Président,

J’aimerais saisir l’occasion de votre visite historique dans mon pays le Bénin pour m’adresser à vous. Mais avant, permettez-moi de me présenter. Je suis Comlan Hugues Sossoukpè, journaliste citoyen et défenseur des droits humains. Je suis en exil depuis mai 2019. J’ai dû m’en aller pour échapper au sort funeste que le régime de votre hôte Patrice Talon réservait à toutes celles et ceux qui avaient osé s’insurger contre le caractère anti-démocratique des élections législatives de 2019 d’où avaient été exclus tous les partis politiques de l’opposition, et contre la violente répression qui s’en était suivie. Je vous écris donc depuis mon lieu d’exil d’où je continue mon combat pour la liberté.

Monsieur le président, sur la liste des pays choisis pour la première tournée africaine de votre second mandat, vous avez inscrit le Bénin, un pays, autrefois phare de la démocratie en Afrique de l’Ouest devenu depuis quelques années, le mouroir des libertés. Monsieur le président Emmanuel Macron, en d’autres temps et circonstances, nous n’aurions pas eu besoin de vous adresser cette lettre ouverte. Mais le contexte aujourd’hui marqué par le recul des libertés individuelles et publiques, la violation des droits humains, et la confiscation des ressources de notre pays entre les mains d’une oligarchie froide, nous oblige à nous adresser à vous afin que lors de vos échanges avec votre hôte, il ne vous échappe pas de lui rappeler que l’Etat moderne qu’il prétend vouloir construire ne pourrait se faire dans le sang de ses concitoyens et sans leurs libertés. Il n’est pas nécessaire de dresser ici la liste des violations des droits humains dont le Bénin est passé tristement célèbre depuis l’installation du président Patrice Talon aux commandes de notre Etat, puisque vos services diplomatiques et plusieurs élus français ont déjà attiré plusieurs fois votre attention sur la question. Il me plaît néanmoins de mettre l’accent sur quelques-unes des plus préoccupantes.

Élu en 2016, face à monsieur Lionel Zinsou que vous connaissez bien, à l’issue d’un scrutin d’une grande beauté démocratique, et maintenu au pouvoir envers et contre tous en 2021, le président Talon a méthodiquement détricoté l’architecture démocratique et l’environnement des libertés qui lui ont permis de se hisser au pouvoir, et pour lesquels chaque béninois a sué un peu de son sang.

Aujourd’hui, les grandes figures de l’opposition béninoise sont traquées, pourchassées et jetées en prison quand elles n’ont pas été jetées sur les chemins de l’exil.

L’universitaire Frédéric Joël AÏVO, et l’ex-garde des sceaux Reckya Madougou ont été enlevés en pleine circulation l’année dernière à l’occasion de l’élection présidentielle exclusive qu’a organisée monsieur Patrice Talon, poursuivis et condamnés à de lourdes peines de prison par un système judiciaire qui ferait pâlir d’envie les pires dictateurs de l’histoire de l’humanité. Leur seul tort, avoir osé se porter candidats à une élection dont le président sortant extrêmement impopulaire, avait voulu faire une formalité. D’autres tels que Sébastien Ajavon (ancien candidat à l’élection présidentielle de 2016), les anciens ministres Komi Koutché, Valentin DJENONTIN-AGOSSOU, la député Amissétou Affo Djobo ou encore l’ex-juge à la CRIET Essowé Batamoussi – la liste est longue – ne doivent leur salut qu’à la légendaire hospitalité de votre pays, la France, le berceau des Droits de l’Homme. Les journalistes et autres acteurs de la société civile qui s’engagent à faire leur travail sont persécutés et finissent en prison.

Cette traque infernale contre les opposants est illustrative de la conception autoritaire et violente du pouvoir qu’a Patrice Talon qui déclarait face à des journalistes : «Dans un petit Pays comme le nôtre, ce qui permet à un Président en exercice d’être réélu, ce n’est pas son bilan. C’est sa capacité à soumettre tout le monde.

Quand tous les Députés sont à sa solde; quand tous les maires sont à sa solde; quand tous les Élus locaux sont à sa solde; quand les Partis politiques affaiblis sont à sa solde, sa réélection est facile.»

Monsieur le président Emmanuel Macron, lorsqu’on sait que le Bénin avant l’avènement du président Patrice Talon était un pays qui se distinguait par la vitalité de sa démocratie et le respect des droits humains, aujourd’hui l’on ne peut que regretter que sous la gouvernance de monsieur Talon, le pays soit cité au rang des nouvelles dictatures dans la sous-région ouest africaine. Une charpe de plomb recouvre aujourd’hui, notre pays. Elle n’épargne pas plus la jeunesse que les hommes politiques. Aujourd’hui, des dizaines d’étudiants sont en prison pour avoir osé donner leur point de vue sur les actions du gouvernement et plusieurs autres familles sont endeuillées par l’assassinat de leurs parents.

Monsieur le Président, le peuple béninois qui suit attentivement l’actualité dans votre pays sait que vous n’avez pas sorti les forces d’élite de l’armée française contre les gilets jaunes ; vous n’avez pas non plus cherché à bloquer la candidature de vos adversaires les plus redoutables aux dernières élections malgré le risque pour vous de les perdre. Vous et vos alliés les avez courageusement affrontés devant le peuple souverain de France et aucun d’eux ne s’est retrouvé derrière les barreaux par le fait d’une justice à vos ordres. Nous savons donc que vous n’êtes pas très à votre aise en compagnie de dictateurs aussi froids que ceux que votre politique étrangère vous dicte de visiter. Il ne nous échappe pas en effet que votre présence au Bénin se justifie par la très généreuse offre que vous avez reçue du président Talon pour le redéploiement des forces françaises dans la sous-région et que vous êtes légitimement moins préoccupé par l’état des libertés et de la démocratie au Bénin que par les enjeux géostratégiques de votre pays, en proie à une opinion publique africaine de plus en plus sévère envers la France. Permettez-moi cependant d’appeler votre attention sur le fait que la pauvreté extrême – celle à laquelle sont soumis les béninois depuis que l’oligarchie au pouvoir s’est accaparée les ressources de notre pays – et la charpe de plomb qui pèse sur nos libertés et notre démocratie, ne sont pas les meilleurs alliées de votre pays en Afrique. Au contraire, elles sont le principal terreau des extrémismes violents contre lesquels la France se bat courageusement depuis de longues années en Afrique. C’est le lieu de saluer la bravoure de nos soldats qui se battent avec abnégation contre un ennemi invisible, malgré les moyens limités mis à leur disposition et l’extrême précarité dans laquelle ils exercent leur mission patriotique. Ils sont eux-mêmes victimes de la politique du pire du régime de Patrice Talon. Votre visite au Bénin, après celle du Cameroun, ne ferait que renforcer le sentiment déjà largement partagé dans l’opinion, d’un soutien décomplexé à des pouvoirs opressants, si elle ne change rien à la situation de notre peuple qui se bat courageusement contre la tyrannie depuis 5 ans.

Nous avons consulté votre agenda pour ces deux jours de visite chez nous et avons remarqué sans surprise – ce serait diplomatiquement inamical de votre part – que vous n’irez pas voir les prisonniers politiques. Vous n’êtes pas Jacques Chirac et nos geôles ne sont pas la chapelle Sainte Anne de Jerusalem. Nous savons néanmoins que le nom de chaque otage politique béninois résonnera dans votre esprit à chaque parole que prononcera votre hôte, que leurs visages s’imprimeront sur chaque mûr du luxueux palais où vous serez reçu, et que comme vous l’auriez assuré avant votre arrivée, “les sujets personnels seront sur la table”.

Je m’en voudrais pour conclure, de ne pas vous souhaiter un très agréable séjour sur la terre hospitalière de nos vaillants ancêtres.

Je vous prie d’agréer, monsieur le président, mes salutations distinguées !

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