Bénin-Médias : Les travailleurs vivent l’enfer (Enquête exclusive sur Radio et Télévision Carrefour)

TVC BENIN

Esclavage, rupture abusive de contrat, fraude à la sécurité sociale, non versement de cotisations sociales et intimidation. Les travailleurs du groupe de presse Radio et Télévision Carrefour vivent l’enfer. Et c’est comme ça depuis plus de 20 ans !

Le dimanche 20 mars dernier, pendant que je parcourais la pléiade de discussions que je n’avais pas encore ouvertes, je suis tombé par hasard sur un message déchirant : 𝗕𝗼𝗻𝗷𝗼𝘂𝗿 𝗺𝗼𝗻𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿 𝗦𝗼𝘀𝘀𝗼𝘂𝗸𝗽𝗲̀. 𝗝𝗲 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝗱𝗲𝗺𝗮𝗻𝗱𝗲 𝗽𝗮𝗿𝗱𝗼𝗻 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗹𝗲 𝗱𝗲́𝗿𝗮𝗻𝗴𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁. 𝗝𝗲 𝗺’𝗮𝗽𝗽𝗲𝗹𝗹𝗲… 𝗝𝗲 𝘀𝘂𝗶𝘀 𝘂𝗻 𝗮𝗻𝗰𝗶𝗲𝗻 𝗷𝗼𝘂𝗿𝗻𝗮𝗹𝗶𝘀𝘁𝗲 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝘁𝗲́𝗹𝗲́𝘃𝗶𝘀𝗶𝗼𝗻 𝗧𝗩𝗖. 𝗝𝗲 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗮𝗰𝘁𝗲 𝗮𝘂 𝗻𝗼𝗺 𝗱𝗲 𝗽𝗹𝘂𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗮𝘂𝘁𝗿𝗲𝘀 𝗰𝗼𝗹𝗹𝗲̀𝗴𝘂𝗲𝘀 𝗾𝘂𝗶 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗹𝗲 𝗺𝗲̂𝗺𝗲 𝗰𝗮𝘀 𝗾𝘂𝗲 𝗺𝗼𝗶. 𝗝𝗲 𝗽𝗲𝘂𝘅 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝗱𝗼𝗻𝗻𝗲𝗿 𝗹𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗮𝗰𝘁𝘀 𝘀𝗶 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝗹𝗲 𝘃𝗼𝘂𝗹𝗲𝘇. 𝗡𝗼𝘂𝘀 𝗮𝘃𝗼𝗻𝘀 𝗲́𝘁𝗲́ 𝗹𝗶𝗰𝗲𝗻𝗰𝗶𝗲́𝘀 𝘀𝗮𝗻𝘀 𝗽𝗿𝗲́𝗮𝘃𝗶𝘀, 𝘀𝗮𝗻𝘀 𝗮𝘂𝗰𝘂𝗻𝗲 𝗿𝗮𝗶𝘀𝗼𝗻 𝗼𝗳𝗳𝗶𝗰𝗶𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗲𝘁 𝘀𝗮𝗻𝘀 𝗮𝘂𝗰𝘂𝗻 𝗱𝗲́𝗱𝗼𝗺𝗺𝗮𝗴𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁, 𝗮𝘃𝗲𝗰 𝗲𝗻 𝗽𝗹𝘂𝘀 𝗽𝗹𝘂𝘀𝗶𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗺𝗼𝗶𝘀 𝗱’𝗮𝗿𝗿𝗶𝗲́𝗿𝗲́𝘀 𝗱𝗲 𝘀𝗮𝗹𝗮𝗶𝗿𝗲. 𝗡𝗼𝘂𝘀 𝗮𝘃𝗼𝗻𝘀 𝗮𝘂𝘀𝘀𝗶 𝗱𝗲́𝗰𝗼𝘂𝘃𝗲𝗿𝘁 𝗾𝘂𝗲 𝗻𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗲𝗺𝗽𝗹𝗼𝘆𝗲𝘂𝗿 𝗻𝗲 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝗮 𝗽𝗮𝘀 𝗱𝗲́𝗰𝗹𝗮𝗿𝗲́ 𝗮̀ 𝗹𝗮 𝗖𝗡𝗦𝗦 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗮𝗶𝗿𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗮𝘂𝘅 𝗰𝗹𝗮𝘂𝘀𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝗻𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗮𝘁 𝗱𝗲 𝘁𝗿𝗮𝘃𝗮𝗶𝗹. 𝗡𝗼𝘂𝘀 𝘀𝗼𝗺𝗺𝗲𝘀 𝘃𝗲𝗻𝘂𝘀 𝗮̀ 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝗽𝗮𝗿𝗰𝗲 𝗾𝘂𝗲 𝘁𝗼𝘂𝘁𝗲𝘀 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗲́𝗺𝗮𝗿𝗰𝗵𝗲𝘀 𝗾𝘂𝗲 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝗮𝘃𝗼𝗻𝘀 𝗳𝗮𝗶𝘁𝗲𝘀 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗾𝘂𝗲 𝗷𝘂𝘀𝘁𝗶𝗰𝗲 𝗻𝗼𝘂𝘀 𝘀𝗼𝗶𝘁 𝗿𝗲𝗻𝗱𝘂𝗲 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗿𝗲𝘀𝘁𝗲́𝗲𝘀 𝘀𝗮𝗻𝘀 𝘀𝘂𝗶𝘁𝗲, 𝗽𝗮𝗿𝗰𝗲 𝗾𝘂𝗲 𝗻𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗲𝗺𝗽𝗹𝗼𝘆𝗲𝘂𝗿 𝗲𝘀𝘁 𝗮𝗽𝗽𝗮𝗿𝗲𝗺𝗺𝗲𝗻𝘁 𝘁𝗿𝗲̀𝘀 𝗽𝘂𝗶𝘀𝘀𝗮𝗻𝘁…»

Après avoir un peu hésité, j’ai décidé de fouiller un peu cette histoire et ce que je découvre est à couper le souffle. J’ai découvert en effet que monsieur Christophe Davakan que j’ai contacté dans le cadre de mon enquête, était un véritable expert en matière de manipulation du code du travail, et de fraude à la sécurité sociale. Dans le cas de mes informateurs, c’était assez simple : leurs contrats ont été suspendus sans préavis en juillet 2019 lorsque TVC Bénin et Radio Carrefour avaient été obligées d’arrêter momentanément leurs émissions à cause « de difficultés financières ». C’est ce qu’avait indiqué le communiqué de la direction qui nous avait tous émus, rappellez-vous. Mes sources indiquent que la décision est entrée en vigueur le même jour où on les informait, alors qu’on ne les avait pas payés depuis environ 6 mois. Le promoteur et ses plus proches collaborateurs leur avaient promis de les rappeler dès la réouverture des organes. Mais à la reprise, ce sont de nouveaux agents qu’ils ont recruté. Seuls les anciens agents qui avaient accepté de travailler bénévolement de 2019 à fin 2021 ont été maintenus, « comme s’ils voulaient punir nous autres qui n’avions pas les moyens de travailler gratuitement pour lui ».

𝗘𝘀𝗰𝗿𝗼𝗾𝘂𝗲𝗿𝗶𝗲 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗰𝗼𝘁𝗶𝘀𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻𝘀 𝘀𝗼𝗰𝗶𝗮𝗹𝗲𝘀

Mais même ceux qui sont « restés » n’ont pas eu plus de chance. Après la signature de son nouveau contrat de partenariat avec le gouvernement de Patrice Talon, un contrat de plusieurs centaines de millions, selon des sources du ministère des finances, monsieur Christophe Davakan qui était devenu entretemps membre de l’UP et s’était même présenté aux communales de 2020, a décidé d’annuler tous les anciens contrats et leurs effets pour proposer à ses collaborateurs de nouveaux contrats, comme si ces derniers n’avaient jamais travaillé avant pour la maison. « J’ai été obligé de signer pour ne pas perdre mon emploi », m’a confié d’un air résigné, un agent qui travaille depuis plus de 10 ans à la radio. Le pire, c’est que durant toutes ces années, l’agent en question n’a jamais été déclaré, alors qu’on lui avait signé un contrat de travail en bonne et due forme, un contrat dont il n’a d’ailleurs jamais reçu copie. Et c’est pareil pour presque tous les agents ! « Depuis 2006, je réclame une copie de mon contrat ainsi que ma carte de la CNSS, l’administration m’a toujours tourné en rond », affirme un autre. Pourtant, monsieur Christophe Davakan prélève régulièrement les cotisations sociales de ses agents. Nous en avons eu la preuve au cours de notre enquête.

𝗧𝗼𝘂𝘁𝗲 𝘂𝗻𝗲 𝗰𝗮𝗿𝗿𝗶𝗲̀𝗿𝗲 𝗮𝘂 𝗻𝗼𝗶𝗿

Administratifs, journalistes, techniciens, la méchanceté du système mis en place par monsieur Christophe Davakan n’épargne aucun agent. Les familles de plusieurs d’entre eux, décédés récemment, se sont retrouvées sur la paille faute de déclaration à la CNSS ou faute de reversement des cotisations sociales. C’est le cas par exemple de l’animateur vedette de la télé, Ignace ADJAHO qui est décédé en 2018. Il a passé près de 20 ans dans cette entreprise et aurait été un pivot de la télévision. Mais sa femme et ses enfants, dont beaucoup étaient encore en bas âge, ne survivent aujourd’hui que grâce à la charité de leurs proches et des amis de leur père. À un autre agent qui devrait partir à la retraite cette année et qui s’inquiétait de se retrouver sans pension, monsieur Davakan aurait déclaré que « les histoires de retraite sont compliquées ». Son contrat suspendu comme tous les autres lors de la fermeture de 2019, n’a jamais été réactivé. « Depuis 2019, je ne sais même plus si je suis encore sous contrat avec lui », m’a-t-il confié. De tous les administratifs que j’ai réussi à interroger, aucun n’a été capable de dire avec certitude s’il a été déclaré et si ses cotisations sont régulièrement reversées. Et la CNSS à laquelle ils se sont adressés n’est apparemment pas pressée de leur répondre. « Peut-être que votre enquête nous aidera nous tous », m’a avoué une ancienne cadre de l’administration de l’entreprise.

𝗟𝗲 𝗹𝗮𝘅𝗶𝘀𝗺𝗲 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗖𝗡𝗦𝗦 𝗲𝘁 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗱𝗶𝗿𝗲𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗺𝗮𝗶𝗻-𝗱’œ𝘂𝘃𝗿𝗲

Mais que fait monsieur Christophe Davakan avec les cotisations sociales de ses employés ? Impossible de le savoir avec précision. Toujours est-il que très peu d’employé de la maison ont été déclarés et que les cotisations du peu ayant été déclarés ne sont pas reversées. Un juriste spécialiste du droit des obligations en poste dans un cabinet d’avocat de Cotonou explique : « si les faits que vous venez de me soumettre sont avérés, les responsables de cette entreprise se seraient rendus coupables de graves infractions, même pénales. Les textes ont prévu de façon très précise les conditions dans lesquelles on peut mettre fin à un contrat de travail au Bénin, tout comme les droits et avantages sociaux qui sont ceux du travailleur. Je suis donc enclin à penser, sous réserve de la version du mis en cause, que les travailleurs de cette entreprise ont probablement été lésés dans leurs droits et peuvent réclamer des réparations, sans préjudice des poursuites pénales contre les responsables de cette entreprise. » La version du mis en cause ! Je n’ai pas réussi à l’obtenir avant de boucler ce papier. Monsieur Davakan à qui j’ai soumis les éléments que j’avais en ma possession m’a tourné en bourrique pendant plusieurs jours : « 𝗦𝗶 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗲𝗺𝗮𝗻𝗱𝗲𝘂𝗿𝘀 (𝘀𝗲𝘀 𝗲𝗺𝗽𝗹𝗼𝘆𝗲́𝘀) 𝗮𝘃𝗮𝗶𝗲𝗻𝘁 𝗲𝘂 𝗹’𝗶𝗻𝘁𝗲𝗹𝗹𝗶𝗴𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗱𝗲 𝗳𝗿𝗮𝗽𝗽𝗲𝗿 𝗮̀ 𝗺𝗮 𝗽𝗼𝗿𝘁𝗲, 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝗻’𝗮𝘂𝗿𝗶𝗲𝘇 𝗰𝗲𝗿𝘁𝗮𝗶𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗽𝗮𝘀 𝗲𝘂 𝗯𝗲𝘀𝗼𝗶𝗻 𝗱𝗲 𝘃𝗼𝘂𝘀 𝗲́𝗰𝗵𝗶𝗻𝗲𝗿 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗽𝗿𝗲́𝘁𝗲𝗻𝗱𝘂𝘀 𝗱𝗿𝗼𝗶𝘁𝘀 𝗯𝗮𝗳𝗼𝘂𝗲́𝘀 », m’a-t-il répondu, avec le calme et la sérénité des gens qui se sentent puissants et invulnérables. Monsieur Davakan est depuis 2020 un membre influent de l’UP dans la commune d’Abomey-Calavi et connait beaucoup de personnes haut placées.

Plusieurs ex-employés de cette entreprise ont saisi les services du ministère du travail ainsi que la CNSS pour tenter d’être rétablis dans leurs droits. Sans succès. Le promoteur ne s’est jamais rendu à aucune convocation et la direction de la main d’œuvre n’a rien fait pour lui forcer la main. Quant à la CNSS, elle n’a donné aucune suite aux demandes des travailleurs lésés dans leurs droits. Son directeur général, monsieur Apollinaire CADETE TCHIN TCHIN que j’ai contacté dans le cadre de cette enquête, s’est réfugié dans le silence.

𝗟𝗮 𝗿𝗲𝘀𝗽𝗼𝗻𝘀𝗮𝗯𝗶𝗹𝗶𝘁𝗲́ 𝗱𝗲 𝗹’𝗘𝘁𝗮𝘁

Les organes de l’État auraient-ils décidé d’abandonner les travailleurs à la cruauté de leurs employeurs? Juste au moment de boucler ce papier, j’ai reçu un dernier cri de détresse de la part de l’un des employés de monsieur Davakan : « Monsieur Sossoukpè, je vous en supplie, il faut nous sauver ! » Tout le monde se souvient encore des mises en garde publiques du président Patrice Talon aux employeurs qui ne déclarent pas leurs employés. Mais le président Talon savait-il que l’un de ses partenaires médias les plus importants à qui son gouvernement reverse chaque année des centaines de millions de nos impôts, était un véritable prédateur des droits de ses travailleurs ? Presque eux tous sont aujourd’hui convaincus que sans l’intervention des autorités, ils n’auront jamais gain de cause.

Le cas de ce média est loin d’être une exception au Bénin. Dans le cadre de cette enquête, nous avons découvert des pratiques effroyables qui semblent être la règle dans les médias. Des pratiques qui sont pertinemment connues des autorités. Nous y reviendrons.

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