Niger : qu’est-ce qui faisait courir Talon ?

Bénin : Patrice Talon saisit la Cour Constitutionnelle pour un contrôle de constitutionnalité du nouveau code électoral

Avec la chute de Bazoum, le président Béninois qui croyait avoir tout verrouillé politiquement, a compris que tout pouvait s’arrêter à tout moment. Tout comme la plupart de ses homologues francophones qui jouent dangereusement avec les règles de la démocratie, Patrice Talon avait des raisons personnelles pour soutenir une action militaire contre le CNSP.

Le 26 juillet 2023, la CEDEAO a enregistré son sixième coup d’état en moins de trois ans dans quatre de ses pays membres. Désormais sur les 15 pays que compte l’espace communautaire, quatre sont gouvernés par des militaires à la suite d’un coup d’état ou d’un double coup d’état contre un président « démocratiquement élu ». Le dernier en date au sein de l’espace oust-africain, celui du Niger, a surpris la communauté internationale en raison de ce que le pays ne traversait, au moment des faits, aucune crise majeure.

Démocratures

En effet, depuis l’alternance réalisée entre Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum, le Niger n’était secoué par aucune crise visible, ni politique, ni économique, ni sociale, ni sécuritaire, pouvant justifier un tel coup d’arrêt de son processus démocratique. Et pourtant depuis le 26 juillet dernier, le pays est dirigé par le général Abdourahamane Tiani, commandant de la garde présidentielle de Mohamed Bazoum. Ce dernier, toujours aux mains de la junte, vit dans des conditions que l’on imagine invivables pour celui qui était il y a encore quelques semaines, l’homme le plus puissant du pays. Ce nouveau coup de force militaire a permis à nouveau à la CEDEAO de découvrir que la démocratie que revendiquent ses états membres couvent en réalité des pratiques et des vices bien plus pernicieux. Ce sont, comme disent des analystes, des démocraties de façade qui ont conservé tous les réflexes de régimes autoritaires, manipulateurs qui instrumentalisent les institutions, la justice, les élections et brutalisent sans état d’âme leurs propres citoyens. Le Niger ne faisait pas exception à cette classe d’états qui rusent avec la démocratie. Pour sa part, et c’est ce que le coup d’état du général Tiani a révélé, le président nigérien avait à son actif une belle brochette de maladresses politiques et d’écarts de langage. Son régime avait par ailleurs sédimenté sur plusieurs années des tas de frustrations et d’injustices que les nigériens de l’intérieur étaient les seuls et les mieux placés pour en parler. La liesse populaire et les soutiens à la junte militaire en disent suffisamment long sur l’état d’esprit de la population nigérienne face à ce coup.

Hystéries

Mais l’une des particularités de cette nouvelle crise au sein de la CEDEAO, c’était la brutalité et l’hystérie de la batterie de sanctions mobilisées. Depuis les sanctions drastiques prononcées en 2011 contre le régime de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, c’était la première fois que les États de la sous-région recouraient à des sanctions aussi variées, aussi profondes et aussi extrêmes. Tout ça pourquoi ?

Sur le cas du Niger, les chefs d’état de la CEDEAO voulaient tellement envoyer un signal fort aux militaires de leurs propres pays, qu’ils ont dégainé ce qui est considéré comme une arme fatale : le recours à la force armée. Monter une armée pour « voler au secours de la démocratie » et aller soi-disant rétablir dans ses fonctions un chef d’état renversé par sa garde présidentielle n’est pas un projet banal. La menace imprudemment brandie par Patrice Talon et endossée, à sa suite, par la CEDEAO dès le lendemain du coup d’état n’était pas seulement redoutable pour les militaires nigériens. En raison de la gravité de la guerre et des conséquences incertaines qu’elle emporte pour chacun des états voisins du Niger et pour la stabilité de la sous-région, ce projet d’intervention armée était une épreuve pour la CEDEAO et un test mortel de sa crédibilité sur la scène internationale. La CEDEAO était contrainte désormais d’agir quitte à échouer. Dans l’un ou l’autre des cas, l’organisation sous-régionale est au pied du mur.

Une affaire personnelle

D’où la question de savoir quelle mouche avait piqué celui par qui la menace de la guerre contre le Niger est arrivée. Pourquoi Patrice Talon avait-il si rapidement annoncé le recours à la force contre les militaires nigériens ? Pourquoi le chef d’état béninois avait-il pris de court la CEDEAO et rendu publique une position qui n’était pas encore celle de l’organisation ? Car il faut bien le dire, c’est sans concertation préalable avec ses homologues que le président Béninois si discret ordinairement sur la scène internationale, avait annoncé que « tous les moyens seront utilisés » pour remettre Mohamed Bazoum sur son fauteuil. C’est à la suite du Président Talon du Bénin que d’autres chefs d’état, tous francophones ont embouché la même trompette et adopté le même ton martial au mépris de la sécurité et de la stabilité de la sous-région.

À l’exception de Bola Tinubu, nouveau président du Nigéria, tout juste désigné à la tête de la CEDEAO, cette option va-t’en-guerre était portée par trois chefs d’état francophones. La détermination et la virulence avec lesquelles Alassane Dramane Ouattara, Macky Sall et Patrice Talon traitent la crise nigérienne avaient fini par les rendre suspects aux yeux des africains. Car, contrairement aux usages en la matière, Patrice Talon, jusque-là discret dans les sommets et absent des grands enjeux, au sein de la CEDEAO et de l’UA a été piqué au vif et était sorti de son légendaire effacement diplomatique. Evidemment, le sujet est d’importance capitale pour le président béninois comme pour ses homologues francophones qui jouent dangereusement avec la démocratie et qui, de ce fait se savent à la merci des militaires de leur pays.

La peur de Talon et des autres

Cet activisme du président béninois a eu deux conséquences. La première a consisté à induire en erreur Bola Tinubu qui a fait basculer le Nigeria dans cette logique va-t’en-guerre, alors que le pays n’a rien à voir dans les dérives autoritaires qui font rage en Afrique francophone et qui engendrent les coups d’états en question. La deuxième conséquence est que l’imprudence de Patrice Talon et sa position excessive et démesurée avaient piégé toute la CEDEAO qui était désormais placée devant une option impopulaire, couteuse et risquée. Mais l’intransigeance de Patrice Talon n’a pas que des conséquences. Elle suscite la curiosité des africains sur les motivations, les tenants et aboutissants de l’extrémisme d’un homme, Patrice Talon qui, depuis son élection en 2016, a plutôt brillé par son mépris pour la démocratie et son indifférence à l’égard des problèmes de la sous-région.

Dans une interview accordée aux médias après l’une des conférences des chefs d’état de la CEDEAO sur la crise nigérienne, les Béninois ont été surpris de découvrir subitement leur président faire l’apologie de la démocratie. À Abuja, Patrice Talon encense la démocratie, magnifie les vertus de l’élection qu’il érige comme « la seule voie pour accéder au pouvoir et pour atteindre le développement ». Ainsi selon Patrice Talon, il n’y a pas de légitimité sans la démocratie et pas de développement sans démocratie. Et pourtant, depuis son élection en 2016, Patrice Talon n’a jamais organisé une seule élection libre, ouverte, concurrentielle et transparente. Ces trois scrutins ont non seulement connu l’exclusion totale des partis d’opposition, mais ils ont surtout été ensanglantés et sanctionnés par une vague d’arrestation, des emprisonnements d’opposants condamnés à de lourdes peines de 10 à 20 ans de prison, et des départs en exil.

Crédibilité

Et c’est justement à ce niveau que la CEDEAO perd toute sa crédibilité. Patrice Talon et ses pairs s’accrochent à l’ordre constitutionnel en faisant semblant d’ignorer de parler du rétablissement de l’ordre démocratique dans les états qu’ils dirigent. Aucun des trois présidents va-t’en-guerre, Alassane Ouattara, Macky Sall et Patrice Talon, n’est en phase avec les valeurs de démocratie qu’ils veulent défendre en livrant la guerre au peuple du Niger. Alassane Dramane Ouattara, Macky Sall et Patrice Talon s’amusent depuis plusieurs années à instrumentaliser la justice au nom de la démocratie pour traquer, exiler et emprisonner leurs opposants. Patrice Talon, instruit par les « bonnes pratiques démocratiques » de ses pairs francophones n’a fait qu’un carnage de son opposition. Exils forcés, emprisonnements en masse de militants d’opposition et condamnations spectaculaires de ses deux plus sérieux rivaux Joël Aïvo et Reckya Madougou. Le même tableau pourrait être facilement présenté du Sénégal ou le principal opposant est actuellement en prison après quasiment trois ans de harcèlement. Il peut correspondre aussi facilement à la situation de la Côte-d’Ivoire où ADO s’illustre dans l’élimination administrative ou judiciaire de ses adversaires, principalement Guillaume Soro, Laurent Gbagbo ou Charles Blé Goudé.

Cette nouvelle trouvaille de ces chefs d’état arrivés au pouvoir à la suite d’élections démocratiques, qui consiste à manipuler la démocratie avec la complicité active de la CEDEAO, constitue aujourd’hui l’une des principales sources de frustrations des populations. C’est le silence et la complicité de la CEDEAO face aux coups de force perpétrés par les présidents civils supposés « démocratiquement élus » qui confortent les militaires à siffler la fin de la parodie et amènent les peuples à faire bloc derrière eux contre la ruse des civils. C’est donc sans surprise que l’irruption des Doumbouya, des Goïta, des Sandaogo, des Traoré et des Tiani à la tête de nos pays est perçue non pas comme un coup d’arrêt à la démocratie mais plutôt comme la fin d’une supercherie politique.

Ce qui est sûr, dans les conditions actuelles, les militaires qui sont célébrés par la rue, ne sont pas non plus de grands démocrates. Néanmoins, leur irruption met généralement un terme à un cycle de manipulation des normes, de détournement des principes démocratiques, d’instrumentalisations des institutions, d’infantilisation du personnel politique, de violations des droits de l’homme, de simulacres d’élection. Avec ces militaires, les peuples qui les encensent savent qu’ils ne sont pas en démocratie. Au mieux ils espèrent une transition politique avec l’espoir, à terme, d’un nouveau départ vers les marches de la démocratie.

Patrice Talon est préoccupé par le cas nigérien parce qu’il a compris que malgré la présence des bases militaires française et américaine sur le territoire et malgré la proximité affichée du président Mohamed Bazoum avec la France, ce dernier n’a pas pu échapper à un renversement militaire. Bazoum n’a fait que ramasser l’ensemble des frustrations et des injustices distillées dans le pays depuis plusieurs années par le régime de Mahamadou Issoufou dont il est le prolongement, à la suite d’une élection présidentielle très controversée. Avec la chute de Bazoum, Patrice Talon, qui croyait avoir tout verrouillé politiquement, a compris que tout pouvait s’arrêter à tout moment. L’homme d’affaires devenu président pensait avoir réussi à mettre son propre pays à genou devant lui. Mais avec le cas Bazoum, devenu en l’espace de quelques heures l’otage des militaires de son pays, le président béninois réalise que tout pouvait s’écrouler devant vous, au mieux après votre départ du pouvoir si vous ne prenez pas le soin de bien faire les choses. C’est à bien des égards, ce qui fait subitement courir Patrice Talon, réveillé de ses certitudes par le cas nigérien.

Équilibre précaire

L’analyse qui court dans certains milieux bien introduits dans les cercles du pouvoir à Cotonou, soutient deux hypothèses. Pour les uns, ce serait pour dissuader les militaires béninois de passer à l’acte avant la fin de son second et dernier mandat que Patrice Talon est aussi entreprenant sur le Niger. Le président Talon espère que si, par la pression de la CEDEAO le coup d’état contre Bazoum échoue, les militaires béninois comprendront qu’il ne servirait à rien de tenter quoique ce soit contre lui. Tout coup d’état contre lui, avant 2026 serait vain car les militaires béninois seraient contraints de le remettre au pouvoir, comme au Niger. Pour les autres, Patrice Talon découvrait qu’un coup d’état pouvait viser un chef d’état même après son départ. Celui du Niger est un pied de nez fait à la fois à Mohamed Bazoum mais aussi à Mahamadou Issoufou qui se sont arrangés pour se succéder au pouvoir. L’arrangement politique s’est révélé mal fait. Alors les Béninois pensent que c’est parce que leur président craint finalement que les militaires ne neutralisent son successeur qu’il est aussi actif contre les militaires nigériens. Patrice Talon s’investit ainsi corps et âme dans la crise nigérienne pour prévenir tout coup d’état que l’armée tentera contre lui-même ou contre son successeur, le dauphin qu’on le soupçonne de vouloir imposer aux Béninois. Il le fait en espérant non seulement dissuader les militaires béninois, mais également que la CEDEAO, le cas échéant, rétablisse son successeur au Bénin comme elle aurait réussi à le faire au Niger dans les semaines à venir.

Au lieu de chercher ce raccourci, Patrice Talon aura tout intérêt à passer à un dégel de l’environnement politique de son pays, en libérant les prisonniers politiques et en créant les conditions pour que les élections générales de 2026 soient une véritable fête de la démocratie. Au regard de l’état de crise permanente du pays, les vautours qui rôdent autour des régimes autoritaires en Afrique francophone, justifieraient un peu trop facilement toute aventure militaire qui mettrait un terme au processus démocratique ouvert à la conférence nationale en 1990. Et Patrice Talon offrirait un peu trop facilement à ses détracteurs, l’occasion d’égrener les dérives de sa gouvernance et les coups de force qui expliqueraient une éventuelle intrusion des militaires sur la scène politique du Bénin. C’est pour cette raison que le président Talon a tout intérêt à préparer lui-même avant la fin de son mandat les conditions d’une bonne fin de mandat et d’une alternance durable.

Pour Patrice Talon, le Niger est une école. Elle lui apprend qu’en politique, le risque est permanent. Avec la chute brutale de Mohamed Bazoum, le président Talon sait que l’on n’est jamais plus malin que tout le monde. Il sait désormais qu’il fait courir un grand risque à lui-même et son camp politique si jamais, par un montage maladroit, un passage en force, il impose à ses compatriotes, un candidat sorti de son chapeau, sans popularité, ni légitimité, au mépris de la volonté du peuple. Plutôt que de chercher à se protéger par une hypothétique intervention militaire, Patrice Talon serait bien avisé de tirer de la crise au Niger, les bonnes leçons pour le Bénin.

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