Ça se gave au CNLSTP

Ça se gave au CNLSTP

Une enquête de l’Inspection Générale des Finances (IGF) et de la Brigade Économique et Financière (BEF) a révélé que pendant plus de cinq ans, les responsables du CNLSTP ont méthodiquement siphonné le budget de cette structure qui était pourtant sous la tutelle du Président de la République. L’une des personnes mises en cause occupe depuis un an la prestigieuse fonction de Directeur Général de l’Organisation Ouest-Africaine de la Santé (OOAS)

Le 14 février 2023, à la surprise générale du personnel, deux enquêteurs de l’Inspection Générale des Finances débarquent dans les locaux du Conseil National de Lutte contre le SIDA, la Tuberculose, le Paludisme, les Hépatites et les Épidémies (CNLS-TP). Quelques jours plus tôt, ils avaient reçu un signalement anonyme sur la gestion du budget alloué à cette structure autrefois rattachée à la Présidence de la République, mais transférée depuis environ un an sous celle du ministère de la santé. De grosses malversations auraient cours depuis plusieurs années dans la structure, impliquant pratiquement toute la chaîne de commandement. Les inspecteurs vont s’attaquer tout d’abord au dernier signalement en date : la disparition mystérieuse d’un montant d’environ 80 millions de francs CFA destiné à la communication de la structure. Les fonds ont été décaissés, mais personne ne trouve trace des activités auxquelles ils étaient destinés. Aucune trace non plus du dossier d’appel d’offres, du procès-verbal de dépouillement des offres, des bordereaux de livraisons et des livrables. De quoi intriguer les enquêteurs qui ont décidé de remonter toute la filière. Très rapidement, alors que le control venait à peine de commencer, l’ampleur des malversations découvertes était telle que les auditeurs ont saisi la Brigade économique et financière (BEF), l’unité de la police béninoise spécialisée dans les crimes économiques. Quatre personnes ont été gardées à vue, puis présentée au procureur spécial de la CRIET et déposées en prison en attendant la fin des enquêtes. Parmi elle, le Dr. Bertin Affédjou, nouveau Secrétaire Exécutif, monsieur Alidaé Koty, la Personne responsable des marchés publics et Razack Soumaïla, le régisseur de la structure.

Melchior Aïssi, le parrain

En s’attaquant à d’autres dossiers, les inspecteurs avaient découvert une véritable machine à produire de la corruption. Une mécanique mise en place et entretenue par la Personne Responsable des Marchés Publiques (PRMP), le jeune Alidaé Koty, avec la bénédiction de l’ancien Secrétaire Exécutif, le docteur Melchior Aïssi désormais patron de l’Organisation Ouest-Africaine de la Santé (OOAS), dont le siège est à Ouagadougou, la capitale burkinabè. Les inspecteurs découvriront que bien que loin, monsieur Aïssi avait gardé la haute main sur la gestion de la structure, principalement en ce qui concerne les passations de marché. Pour y arriver, l’actuel Directeur Général de l’OOAS a fortement recommandé pour son remplacement, monsieur Bertin Affédjou, un médecin réputé pour sa compétence et son dévouement au travail, mais qui serait « sans caractère et facilement manipulable », selon plusieurs personnes de son entourage. C’est ainsi que Melchior Aïssi a continué à avoir son mot à dire sur chaque marché passé au CNLS-TP. Adossé à un puissant réseau d’influence politique autour du chef de l’État, sa nomination en mai 2022 à la tête de l’Organisation Ouest-Africaine de la Santé (OOAS) avait été précédée d’une énorme polémique qui l’avait, à l’époque déjà, laissé de marbre. Il avait en effet été battu à plate couture par son principal challenger, le médecin béninois Yves Armand Mongbo et n’avait dû sa nomination qu’au pouvoir discrétionnaire du gouvernement du Bénin et de son chef, Patrice Talon dont il est très proche. Le docteur Melchior Aïssi a été longuement auditionné le 05 mars dernier avant de s’envoler vers la capitale burkinabè d’où il n’est pas revenu depuis. Pour les enquêteurs de la BEF, son cas est un véritable casse-tête étant donné son statut de fonctionnaire international. « Les faits qui lui sont reprochés sont très graves. Il est encore en liberté parce que les autorités béninoises n’ont pas encore trouvé la formule pour éviter ou atténuer la crise institutionnelle que son arrestation provoquerait à l’OOAS, ainsi que le discrédit qu’elle jetterait sur le Bénin », nous confie un policier proche du dossier.

Effectivement, outre les charges de délit d’initié, la brigade économique et financière s’intéresse à lui pour deux autres charges. Il aurait organisé à son domicile de Ouidah, quelques jours après l’irruption de l’IGF dans la structure, une concertation à laquelle auraient participé notamment son successeur et la personne responsable des marchés publics, afin de décider de l’élimination physique de Constant Satignon, le directeur administratif et financier qu’ils soupçonnaient d’être la cause de leurs ennuis. Mais la police tente aussi de savoir pourquoi l’ancien secrétaire exécutif a “oublié” de rendre l’un de ses véhicules de fonction, une Toyota Land Cruiser, version Prado acquise moins de deux ans plus tôt. Dans ce dernier dossier, la Bef s’intéresse également à son chauffeur qui aurait joué un rôle important dans la dissimulation de la voiture.

Alidaé Koty, l’architecte

Pour mettre en œuvre son plan de prédation des ressources du CNLSTP, Docteur Melchior Aïssi s’appuyait essentiellement sur le jeune Alidaé Koty, la trentaine, neveu de l’ancien ministre Lambert Koty qui l’aurait placé sous la protection du ministre d’État Pascal Irénée Koupaki. Notre enquête n’a pas pu établir qui d’entre les deux, a le plus d’influence sur la carrière du jeune Koty. Toujours est-il que depuis que leur chemin se sont croisés leurs destins semblent s’être définitivement liés. D’ailleurs, Melchior Aïssi avait offert le poste de responsable des approvisionnements de l’OOAS à son jeune acolyte qui aurait dû prendre service depuis le 06 mars 2023, s’il n’avait pas été placé en détention quelque jours avant. « La compétition n’a jamais existé dans les marchés du CNLS-TP gérés par monsieur Koty », s’est confié un opérateur économique qui assure avoir fini par renoncer à soumettre des offres à cette structure. Selon plusieurs sources concordantes qui le fréquentent, monsieur Alidaé Koty serait à lui seul propriétaire d’une vingtaine au moins d’entreprises sous prête-nom dans plusieurs spécialités. Une couverture que lui assure un sulfureux opérateur économique connu sous le surnom de AFOLAC. Le docteur Aïssi aussi serait propriétaire de quelques entreprises, sous prête-nom. Ensemble, ils se partageaient la quasi-totalité des marchés passés par la structure. Le mode opératoire est simple : les deux complices s’entendent en amont sur laquelle des entreprises gagnera le prochain marché, Alidaé Koty taille le dossier d’Appel d’Offres à la mesure de l’entreprise retenue, puis la procédure de passation est lancée et menée à son terme pour la forme.

Alidaé Koty est une PRMP immensément riche. Tous les témoignages recueillis décrivent une personne extrêmement intelligente, mais “vorace et sans pitié” face aux opportunités de se faire de l’argent. La trentaine à peine, cet ancien élève de l’École Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) a une maîtrise des procédures de passion des marchés qui frôle la perfection. « Il connaît toutes les failles possibles dans le dispositif des marchés publics et les exploite sans retenue », nous confie un de ses anciens collègues de l’Agence Pénitentiaires du Bénin où il a fait ses premières armes. Il faut dire qu’il s’en sort très bien. Le jeune homme serait à la tête d’un impressionnant patrimoine composé de plusieurs immeubles dans des quartiers huppés de Cotonou et de sa banlieue, et n’a jamais caché sa passion pour les chevaux de course qu’il collectionne et pour les soirées mondaines où le champagne coule à flot. Pour la célébration de son mariage, le jeune fonctionnaire n’a pas lésiné sur les moyens. C’est à Cotonou qu’il a réuni son petit monde.

Alidaé Koty a multiplié les conflits d’attribution et les tensions avec les responsables et les spécialistes en passation des marchés (SPM) des projets placés sous la tutelle du CNLSTP mais dont le budget est en principe autonome. Récemment, Alidaé Koty a été forcé par le ministre d’état secrétaire général à la présidence, Pascal Irénée Koupaki lui-même, de choisir entre ses fonctions initiales de PRMP du CNLSTP et celles de spécialiste en passation de marché d’un nouveau projet rattaché au CNLSTP, qu’il s’était attribuée. Il a même dû restituer le salaire qu’il avait indument perçu sur le poste cumulé. Ceux qui ont pu croire que ce recadrage aurait suffi pour le faire reculer se sont tous trompés. Il n’a eu aucune gêne à continuer de passer les marchés du projet.

Face aux enquêteurs de la BEF, l’homme dégageait un calme stoïque. La prison ne lui faisait pas peur. Pas même l’idée d’y passer les dix prochaines années de sa vie. 

Adéchian Faisol, la couverture

Affectueusement appelé AFOLAC, Faisol Olayomissi Adéchian est un jeune opérateur économique plein d’ambition, mais surtout sans scrupule. L’état est son unique client et les marchés publics sont son terrain de jeu. Ami de longue dates d’Alidaé Koty, il en est également le principal associé. C’est lui qui gère la vingtaine d’entreprises avec lesquelles la bande siphonne les ressources des structures dont monsieur Koty passe les marchés. Les limiers de la Brigade Économique et Financière ont réussi à tirer au clair le rôle qu’il a pu jouer dans cette vaste entreprise de prédation. Ils ont notamment établi que le CNLSTP était le seul client de toutes ses entreprises et ont réussi à obtenir un mandat de dépôt contre, près de deux mois après l’arrestation de ses complices.

Ils sont donc tous en détention préventive, dans l’attente d’un procès qui promet d’être retentissant. En leur compagnie, le docteur Affédjou qui paiera sans doute sa naïveté au moment d’apposer sa signature sur des documents compromettants, mais également Razack Soumaïla, le régisseur dépêché auprès du CNLSTP par la présidence de la république. Ce dernier s’était caché dans la malle arrière d’un véhicule au sous-sol de l’immeuble qui abrite le CNLSTP, lorsque les agents de la BEF s’étaient présentés le 03 mars dernier, puis, s’est rendu deux jours plus tard, sur conseil de son avocat.

Une question se pose face à un tel niveau de corruption : le chef de l’état qui était le responsable tutélaire de cette organisation était-il au courant, lui qui a fait de la lutte contre la corruption l’un de ses chevaux de bataille officiels ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il que l’implication de l’un de ses proches, le Dr. Aïssi qu’il a entretemps imposé à la tête de l’OOAS le place dans un grand embarras. Faut-il le rapatrier et le mettre à la disposition de la justice au risque de discréditer le Bénin, ou l’aider à échapper à la justice quitte à laisser planer comme un doute au-dessus de la sincérité de sa lutte ? Patrice Talon n’a pas encore tranché. En attendant, le CNLSTP a beaucoup changé depuis ce vaste coup de filet de la police. Une nouvelle Secrétaire Exécutive a été nommée en la personne d’Anita Wadagni, petite sœur du ministre de l’économie et des finances.

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