Dernière décision de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples appelle à l’encontre du Bénin : interview exclusive avec Conaïde AKOUEDENOUDJE

Dernière décision de la Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples appelle à l'encontre du Bénin : interview exclusive avec Conaïde AOUEDENOUDJE

Le 22 juillet 2019, les ministres Sévérin Quenum et Sacca LAFIA prirent l’arrêté interministériel n°023/MJL/DC/SGM/DAPCG/SA/023SGG19 portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice. A l’époque, plusieurs voix se sont levées contre cette décision. Dans le lot, il s’est trouvé un jeune béninois qui décida de porter devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ce qui apparaissait comme une violation des droits humains notamment la présomption d’innocence et la nationalité, en 2020. Conaide T. L. AKOUEDENOUDJE, puisque c’est de lui qu’il s’agit est juriste, spécialiste en droits humains et démocratie ; défenseur des droits humains.

Il est de notoriété que le retrait par le Bénin de sa déclaration de compétences intervenue le 26 mars 2021 n’a aucun effet, ni sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires dont la cour a été saisie. C’est ainsi que le 15 juin 2023, la cour rend sa décision dans l’affaire dite de l’arrêté interministériel n°023/MJL/DC/SGM/DAPCG/SA/023SGG19 portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice.

Conaide T. L. AKOUEDENOUDJE, a accordé à votre hebdomadaire, une interview exclusive

Quelles étaient les motivations de votre requête?

Pour moi, défenseur des droits humains, il ne doit y avoir aucune place à aucune violation des droits humains, ni même une insécurité juridique pouvant occasionner, aujourd’hui ou demain, une méconnaissance des droits dont nous jouissons du simple fait que nous soyons des êtres humains.

A partir de ce moment, la fréquentation des mécanismes de protection des droits humains devient spontanée, dès qu’une insécurité ou une violation des droits et libertés est constaté. Il ne s’agit surtout pas pour moi, ni pour les défenseurs des droits humains avec qui je travaille au quotidien, d’attendre d’être victime pour agir.

C’est donc naturellement que j’ai entrepris cette action en 2020, pour contribuer à l’élimination de toute insécurité juridique à la jouissance effective et paisible des droits. Dans le cas d’espèce, il s’agit des droits à la présomption d’innocence et à la nationalité que je considère comme des droits fondamentaux.

La décision est tombée il y a quelques heures. En effet, la Cour d’Arusha a constaté la violation des droits à la présomption d’innocence et à la nationalité des personnes recherchées par la justice par l’Etat du Bénin. Livrez-nous l’émotion qui vous anime depuis l’annonce de la décision.

Un ressenti dyptique!

Du soulagement!

Puis, de l’espérance!

Du soulagement parce que cette décision intervient après 03 ans de combat, 03 ans de rédaction de mémoire et de conclusions afin de faire entendre ma raison. Mais aussi 03 ans incertitude, parfois de peur devant la toute puissance de l’État. Machiavel ne disait-il pas que l’État est un monstre froid qui broie tout sur son passage ?

Ce soulagement est encore plus jubilatoire, au regard du “dire” du juge africain. La Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples a dit et jugé que dans cette affaire, l’Etat du Bénin a violé la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples ( qui fait partie intégrante de notre Constitution). C’est une décision claire. Un motif décisoire soutenu mais basé sur le droit, dans sa posture substantielle. 

Cette décision est donc un soulagement personnel pour moi. Mais aussi pour le groupe de défenseurs des droits humains auquel j’ai l’honneur d’appartenir. C’est un soulagement pour Miguèle HOUETO, Glory Cyriaque HOSSOU, Landry Angelo ADELAKOUN, mais aussi pour Fréjus ATTINDOGLO et Romaric ZINSOU. Mais surtout, et il me semble que c’est le plus important, c’est un soulagement pour toutes les personnes qui sont victimes de cet arrêté interministériel depuis bientôt quatres années.

Le sentiment d’espoir parce que malgré le soupçon de non respect de cette décision, au regard des récents développements des relations entre le Bénin et la juridiction africaine. L’espoir que cette décision sera respecté et que nos dirigeants déposeront à nouveau, la déclaration attributive de compétence favorisant l’accès à ce juge aux citoyens béninois. Enfin, l’espoir que notre juge constitutionnel renaîtra de ses cendres, et sera de nouveau debout pour nous garantir nos droits et nos libertés, sans que nous ne soyons obligés de recourir à la justice international; elle qui nous offre de réelles perspectives.

La décision est rendue, tout le monde est content. A présent, que va-t-il se passer à votre avis?

Ce qui va se passer, sur le plan du droit, c’est la mise en œuvre de cette décision et l’élaboration d’un rapport sur l’exécution dans les délais fixés par la Cour. Toutes choses qui consacreront le respect par le Bénin de sa parole donnée; le respect des engagements internationaux librement pris. Le respect de l’article 30 du protocole portant création d’une Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples dont le dispositif est ainsi libellé: “Les États parties au Présent protocole s’engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et à en assurer l’exécution dans le délai fixé par la Cour”.

Croyant, une fois de plus, en la bonne volonté et au sens de responsabilité des dirigeants actuels, je veux espérer que la décision soit diligemment exécutée.

 Si extraordinairement, elle en vient à ne pas être exécutée aujourd’hui, j’en suis sûr, elle le sera demain. 

Votre mot de la fin

Comme je l’ai souvent dit, la défaillance de la justice interne est un handicap sérieux à la réalisation de l’état de droit et à la satisfaction des droits humains. Là où, il n’y a pas de justice crédible et indépendante, capable d’audace face au pouvoir politique, il n’y a point de liberté, ni de droits. Là, il n’y a que l’arbitraire. Et l’arbitraire génère de l’insécurité. Nous devons travailler à protéger la crédibilité de nos juridictions, et assurer un libre accès aux mécanismes de protection des droits humains, dans leur globalité et dans la limite de nos engagements internationaux pertinents.

C’est un devoir. Et moi, je milite pour ça.

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