Corruption, abus de pouvoir et manipulation judiciaire au Bénin : Louis Tognisso dévoile une véritable mafia entretenue par des collaborateurs du Président Patrice Talon

Une affaire de corruption éclabousse le régime de la rupture dans le domaine de l’aménagement territorial. Dans une longue lettre ouverte adressée au Président Patrice Talon, Louis Tognisso, ingénieur et acteur du secteur des infrastructures, expose un vaste complot politico-judiciaire et un système de corruption tentaculaire. Le courrier est à la fois un cri du cœur et une dénonciation des abus qui gangrènent les rouages de l’administration publique au Bénin.

Présent lors des premiers mois du régime de la rupture, Louis Tognisso dit avoir joué un rôle discret mais central dans l’élaboration du Programme d’Actions du Gouvernement (PAG). Sa partition concerne les grands projets d’infrastructures mis en œuvre par le pouvoir en place. « J’ai joué un rôle éminent, et sans doute déterminant, avec et pour vous, Monsieur le Président, dans l’élaboration du cadre général des choix de stratégie […] dans le domaine des infrastructures », a-t-il écrit.

Bien qu’il ait travaillé de façon rapprochée avec le Président en personne, cette sortie publique est la formule qu’il a trouvée pour attirer l’attention du Chef de l’Etat après plusieurs tentatives non abouties. Même si dans la lettre, il veut croire que Patrice Talon n’est pas au courant des manigances, son témoignage accablant sur fond de détournement de marchés publics, manipulation judiciaire, escroqueries en bande organisée et marginalisation des voix critiques, expose les dérives de certains hauts responsables de l’État.

La descente aux enfers a commencé lorsqu’il a créé son entreprise, la Société Africaine d’Ingénierie (SAI), et la présente à des collaborateurs désignés par le Chef de l’État. « Dès que j’ai présenté la SAI à ceux que vous m’avez indiqués, elle a été remplacée par la création précipitée de l’ACV-DT, puis de la SIRAT […] dont le business plan ne serait autre que celui que j’avais écrit ».

La corruption bien organisée comme méthode

Dans sa lettre, Louis Tognisso décrit un système bien huilé de détournement des marchés publics, dans lequel les techniciens et décideurs institutionnels se partagent les fruits des projets de l’État au détriment de la qualité des ouvrages et du mérite. « Deux tiers du montant de l’offre seraient dévolus aux travaux, et un tiers s’évaporerait dans les labyrinthes ténébreux de l’Administration. […] Les directeurs des bureaux d’études et de contrôle seraient salariés par les entreprises qu’ils contrôlent », a-t-il avancé.

L’auteur dénonce également une collusion entre entreprises adjudicataires et hauts fonctionnaires, à travers le financement de leur besoins privés. « Pour les uns, ce serait semble-t-il l’entreprise qui paierait les frais de santé ou les voyages. Pour d’autres, ce sont les études de leur descendance à l’étranger qui sont couvertes », a-t-il confié.

L’ingénieur explique ensuite comment il a été progressivement évincé des projets qu’il avait lui-même initiés, étant donné qu’il n’est pas dans la même dynamique que les auteurs. Un commando administratif aurait, selon ses propos, envahi les locaux de sa société, chassé son personnel et détourné ses travaux techniques en modifiant les contrats. C’est à ce moment que surgit le nom de Sakaryaou Abou, présenté comme un imposteur introduit dans ses projets grâce à un faux protocole d’accord notarié. « Abou Sakaryaou a été introduit comme mon mandataire fictif dans un document falsifié. Il a perçu tous les règlements des prestations que j’ai réalisées », a-t-il déclaré.

Au fil des années, une série de procès surréalistes, de renvois successifs, de délibérés sans fin, puis une condamnation surprise en son absence aboutissent à la saisie de ses biens personnels et professionnels. « J’ai été condamné à mon insu, lors d’une audience tenue le 24 janvier 2019, à la saisie de mes comptes bancaires et de tous mes biens. Mon avocat ne s’y est même pas présenté », a-t-il affirmé.

Plus qu’une affaire personnelle, la lettre de Louis Tognisso dresse un tableau inquiétant d’un système de corruption enraciné. Des marchés publics attribués de façon douteuse, des agents de l’administration bénéficiaires de commissions occultes, et une justice instrumentalisée pour éliminer les voix non alignées. Il dénonce une mafia judiciaire opérant au cœur même de l’État, protectrice des réseaux d’intérêts et destructrice des initiatives indépendantes. « Le sieur Abou est coutumier des faits. Il infiltre les projets, crée un conflit prémédité, puis traîne ses victimes devant les tribunaux où il gagne toujours, grâce à des complicités dans le corps judiciaire », se désole-t-il.

Une fin d’exil dans le silence

Dans sa lettre, Louis Tognisso interpelle le Président Patrice Talon. Avec une tonalité mêlant déception, indignation et appel à la justice, il accuse les proches collaborateurs du Président d’avoir dévoyé ses réformes et bafoué l’idéal du mérite au profit de la connivence et du clanisme. « Monsieur le Président, ne soyez pas aveugle ! Toutes ces choses se passent sous votre règne, à l’ombre de la Rupture. La corruption serait, selon certains, plus florissante et plus juteuse aujourd’hui qu’hier, y compris pour ceux qui sont censés la combattre », a-t-il écrit.

Mais, il a exprimé également sa peur après les menaces proférées à ses proches, dans son domicile, par des personnes qui agiraient, selon lui, avec la complicité du silence administratif et judiciaire. « Si demain, quelque chose m’arrivait ou arrivait à ma famille, que vous-même et mes amis puissiez en connaître la cause », a-t-il affirmé.

Publiée depuis le 12 mai 2025, la lettre de Louis Tognisso n’a pas encore l’écho espéré. La réaction du Président de la République Patrice Talon est attendue face à sa doctrine de « tolérance zéro à la corruption et à la mauvaise gouvernance ».

Lire, ci-dessous, la lettre ouverte de Louis Tognisso.

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