
À l’approche des élections générales de 2026, le paysage politique béninois s’anime, notamment autour du parti ‘’Les Démocrates’’, seule force d’opposition représentée à l’Assemblée nationale. Dans un entretien exclusif, Nourénou Atchadé, deuxième vice-président du parti et président du groupe parlementaire ‘’Les Démocrates’’, aborde sans détour trois sujets essentiels qui cristallisent l’attention : le bilan de son groupe parlementaire à la 9ᵉ législature, les rumeurs de tensions internes au sein du parti, et le regard critique du parti ‘’Les Démocrates’’ sur la politique d’industrialisation du régime de la rupture.
Depuis son entrée à l’Assemblée nationale en février 2023, après une législature entièrement contrôlée par la majorité présidentielle, Nourénou Atchadé estime que ‘’Les Démocrates’’ ont su redonner du crédit à l’institution parlementaire. « La 9ᵉ législature est venue corriger l’image crochue de la précédente », déclare-t-il. Pour lui, la présence des 28 députés de l’opposition a modifié la manière dont les projets de loi sont désormais traités. « Donc, la nature des dossiers envoyés a évolué. Ce n’est pas la même chose où on avait une assemblée conquise, une assemblée acquise où on pouvait faire tout. Le ministre rentrait, il dit ce qu’il pense et il sort en toute tranquillité… Aujourd’hui, le ministre même sent qu’en venant, il y a une résistance, il y a des gens qui vont quand même lui poser des questions sur l’essentiel de ce qu’il a amené. Donc, il y a des dossiers plus raffinés, plus élaborés qui viennent à l’Assemblée nationale. » a-t-il expliqué.
Le groupe ‘’Les Démocrates’’ a également proposé plusieurs textes de loi, dont une loi d’amnistie toujours bloquée dans les tiroirs du président de l’Assemblée Nationale. Les députés démocrates ont aussi formulé des propositions de modification de lois jugées liberticides ou obsolètes, notamment le Code du numérique et la loi sur l’embauche, deux dispositifs critiqués pour leur caractère répressif ou inadapté aux réalités socio-économiques lors du forum sur l’examen périodique universel des Nations Unies. « Le pouvoir en place profite de ce code-là pour bâillonner, pour réprimer la jeunesse, réprimer les voix discordantes. Donc, nous avons estimé que, étant entendu que le Bénin a accepté sa correction, il faut qu’on aide le pouvoir en place à honorer ses engagements vis-à-vis de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Donc, nous avons fait des propositions de correction et c’est sur la table du gouvernement », rappelle Nourénou Atchadé.
« Le deuxième volet, nous avons posé énormément de questions au gouvernement. Il y en a qui ont abouti. Il y a d’autres, par contre, qui sont restées dans la gorge du gouvernement et, jusqu’à aujourd’hui, il n’a pas répondu à ces questions. », regrette-t-il en citant les cas du leasing automobile et de l’échec du projet Bénin Taxi. Face au mutisme de l’exécutif, il reconnaît les limites du pouvoir minoritaire de son groupe. « Le règlement intérieur nous permet d’interpeller, mais il faut 50% de voix pour faire passer une résolution. Nous n’avons pas ce quota », se désole-t-il.
Un parti soudé, malgré les rumeurs
Des rumeurs persistantes évoquent des dissensions au sein du parti, notamment entre Nourénou Atchadé et le premier vice-président, Éric Houndété. Sur le sujet, le président du groupe parlementaire ‘’Les Démocrates’’ balaie ces insinuations du revers de la main. « Il n’y a pas de division…, seulement des courants d’idées. », a-t-il confié. Il souligne que le congrès de Parakou a permis de structurer le parti autour d’un chef respecté et d’une discipline collective. « L’essentiel, c’est que le parti se porte très bien. L’essentiel, c’est qu’il y a un chef qui incarne le parti, qui est respecté de tous, et à qui tous rendent compte », a-t-il expliqué insistant que la relation entre les deux personnalités ne s’est pas dégradée : « Je suis très formel. Et je le dis avec conviction. Il n’y a rien entre Éric Houndété et Nourénou Atchadé. »
Interrogé sur l’éventualité d’un choix du parti pour la présidentielle de 2026, il assure qu’il fera confiance au processus interne, même s’il n’est pas lui-même désigné. « Je dis, nous faisons ce que le parti décide. Ce que le parti décide dans son ensemble, c’est ça. », rassure-t-il. S’il concède que certaines frustrations ont pu émerger à l’issue du congrès, il insiste sur la capacité du parti à les gérer en interne, sans éclats publics : « Quelle que soit la main invisible qui viendra de l’extérieur, nous allons gérer nos frustrations à l’intérieur. »
Regard critique sur l’industrialisation version Talon
Enfin, sur le plan économique, le vice-président du parti Les Démocrates se montre très réservé quant à l’enthousiasme du gouvernement autour de la zone industrielle de Glo-Djigbé (GDIZ), considérée par la mouvance comme une vitrine de l’industrialisation en cours. Nourénou Atchadé admet que le principe de l’industrialisation est salutaire, mais il dénonce sa forme actuelle au Bénin. « On ne fait pas l’industrialisation au détriment de ceux qui produisent la matière primaire. Lorsque vous le faites, vous risquez de faire arrêter l’industrie à un moment donné », prévient-il.
Selon lui, les conditions imposées aux agriculteurs sont proches de l’exploitation. Le constat amer est que le gouvernement impose les prix d’achat des produits agricoles, sans tenir compte du coût de production. « Ce n’est pas parce qu’on a subventionné que le produit devient la propriété de l’État. Et dans tous les pays, ça se passe… Lorsque vous subventionnez, peut-être que vous avez la priorité d’achat. Vous n’avez pas le pouvoir de fixer le prix à l’agriculteur… Je pense qu’il faut libérer les prix. Il faut permettre aux paysans de vendre au prix du marché », a-t-il afirmé.
Il critique aussi l’absence de redistribution de la valeur ajoutée et le manque de retombées positives pour les populations locales. À cela s’ajoutent des exonérations massives accordées aux industries, dont les impôts, l’énergie et les taxes à l’exportation, sans exigence claire de contrepartie pour les producteurs ni transparence sur les résultats économiques pour la nation. Pendant ce temps, les ouvriers des zones industrielles peinent à survivre avec des salaires subventionnés, parfois dérisoires, alors que le marché béninois reste saturé de produits importés.