L’éditorial d’Arimi Choubadé
25 morts civils, tous tués sur le sol béninois, depuis 2019 selon un récent rapport-synthèse sur des travaux de terrain réalisés par des militants d’association des droits de l’homme, des journalistes béninois et étrangers. “Le sang des citoyens les plus pauvres versé pour la démocratie ne sera jamais inutile” peut-on lire sous la plume encore fumante du Père Éric Aguénounon dans son récent livre intitulé : Le Pouvoir du Déni : Chronique d’une Démocrature Assumée. Un récit glacial qui ne laisse aucun Béninois indifférent dans l’extrait qui suit : ”Dans le sang, il y a eu un conseil des ministres ; il y a eu une rencontre avec le corps diplomatique ; et il y a eu l’annonce des résultats légitimes, illégitimes par la cour constitutionnelle. Ce sont des indifférences froides, coupables et criminelles”.
Avec le recul, certaines âmes sensibles sont encore à se demander si tout cela s’est passé sur le sol du Bénin, terre d’histoire, de mémoires et d’humanisme. Le berceau du vaudou, incarnation de la continuité entre la vie et la mort ou la mort et la vie. En parcourant les écrits du prélat, on peut sentir la frustration de l’homme d’église. En effet, des vies ont été ôtées ; on a parlé de diplomates, de conseils des ministres, de résultats d’élections, de vote de loi d’amnistie. Mais rien sur le repos céleste des tués : pas d’offices religieux, pas de deuil national, pas d’hommage de la République, même pas la minute de silence protocolaire de la communauté.
Le Père Éric parlait seulement de 2019, le début de la saga mortifère autour des élections. Mais il y a eu pire en 2021, déjà pour réprimer dans le sang les contestataires du mandat transitoire de 45 jours sans élection puis à l’occasion de l’élection présidentielle proprement dite. Ce fut le moment de la première vraie bataille de l’armée béninoise sur le territoire national depuis sa création en 1960. Le chef de l’État expliquait que des gens auraient bloqué les voies à la hauteur des départements des Collines en vue d’empêcher les marchandises en direction du Niger d’atteindre leur destination. Et pour ce faire, il fallait user par tous les moyens y compris ouvrir des tirs à balles réelles voire des mortiers sur des habitations pour y déloger des activistes ou des chasseurs hostiles.
Après ces scènes de guerre de 2021 sur le territoire national, la République n’a eu d’attention que pour les militaires blessés et hospitalisés dans des centres hospitaliers à Parakou et à Cotonou. Indifférence voire méprise encore une fois pour tous les autres morts dont une femme fauchée par des balles de l’armée alors qu’elle s’affairait dans sa cuisine. Ne parlons pas de tous ces autres anonymes qui ont rendu le dernier soupir sans savoir pourquoi. Certains corps attendent toujours d’avoir une sépulture digne de ce nom après la levée des blocages administratifs et ou judiciaires.
Ainsi est devenu le Bénin au bout d’un règne étalé sur 10 ans 45 jours !