Ben Saul, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a achevé, ce mercredi 27 novembre 2024, une mission d’évaluation des actions liées à la lutte contre le terrorisme au Bénin. Globalement, l’expert de l’Onu, en attendant un rapport détaillé concernant ses constatations au Conseil des droits de l’homme, en mars 2025, a salué les efforts novateurs déployés par le Bénin pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent, en particulier dans ses régions du nord. Néanmoins, il a appelé à une procédure judiciaire rapide dans les affaires de terrorisme, en conformité avec les standards internationaux des droits humains.
Selon Ben Saul, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme, la réduction significative des attaques d’hommes armés non identifiés sur le territoire national du Bénin, de même que le long des frontières à risque, est l’émanation des efforts novateurs déployés par le Bénin pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent. « Le Bénin a fait preuve d’une approche tournée vers l’avenir en alliant des mesures de sécurité avec des stratégies de développement. Le Bénin a renforcé la sécurité aux frontières pour empêcher l’entrée de terroristes en augmentant la présence de la police, de l’armée et des autorités frontalières, tout en offrant l’hospitalité aux réfugiés des pays voisins du Sahel », a-t-il déclaré.
Dans ses propos liminaires, le Rapporteur spécial a saisi l’occasion pour partager avec la presse les causes induisant généralement le terrorisme dans un pays. Selon lui, les organisations terroristes tirent souvent profit des différends des collectivités, notamment les inégalités persistantes et la perception de marginalisation. « Les initiatives destinées à promouvoir un développement inclusif et participatif, particulièrement dans les régions du nord, sont primordiales pour renforcer la résilience face à la radicalisation », a conseillé Ben Saul.
Des clarifications sur le terrorisme, une exigence préjudicielle !
La lecture globalement satisfaisante, en ce qui concerne les mesures sécuritaires, n’a pas empêché le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, à émettre de sérieuses réserves sur certains points. L’un de ces gros points noirs sur lequel il a insisté, c’est le sort de certains présumés terroristes. Certains ont passé deux à trois ans avant d’être présentés devant le tribunal. Pour lui, c’est contraire au droit international. Son constat vient du fait que l’administration pénitentiaire lui a ouvert notamment les portes de la prison surpeuplée de Missérété, où se trouvent 3 000 détenus pour 1 000 places. Une prison ou sont gardés de nombreux présumés terroristes. « Ils sont au nombre de 652 présumés terroristes détenus, dont 10 condamnés. Il y a 22 femmes qui sont des terroristes présumées dans une autre prison à Porto-Novo », a-t-il expliqué.
À en croire son constat, des centaines d’arrestations, dont beaucoup semblent arbitraires ou sans notification adéquate des raisons de l’arrestation, ont été effectuées en relation avec des crimes liés au terrorisme depuis 2019. Le Rapporteur spécial s’est dit préoccupé par le fait que de nombreuses personnes attendent toujours la résolution de leurs affaires devant la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (Criet).
La terminologie ‘’terrorisme’’, un autre gros point noir
Dans son bref point de sa mission, le Rapporteur spécial de l’Onu, a exhorté le gouvernement du Bénin à restreindre et à préciser la définition du terrorisme et des infractions terroristes en vertu des articles 161 et suivants du code pénal afin d’assurer que la loi n’inclut que les actes qui constituent véritablement du terrorisme et qu’elle s’aligne sur les normes internationales.
Cette recommandation sonne comme une grosse pierre lancée dans le jardin du régime de la Rupture. En effet, on se rappelle tout le tollé suscité à la création de la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme. Une juridiction dont les premiers clients étaient pour la plupart, des opposants au régime. D’autres avaient trouvé l’inopportunité de sa création. À ces récriminations, s’ajoute la définition du terrorisme au Bénin. En effet, selon la loi n° 2018-16 délibérée et adoptée par l’Assemblée nationale, le 4 juin 2018, portant code pénal, l’article 161 fustigé par le Rapporteur spécial, stipule : « Constitue un acte de terrorisme, au sens de la présente loi, l’infraction prévue aux articles 162 et 163 ci-après qui, de par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à l’Etat et commise intentionnellement dans le but d’intimider gravement la population ou de contraindre indûment les pouvoirs publics à accomplir ce qu’ils ne sont pas tenus de faire ou à s’abstenir de faire ce qu’ils sont tenus de faire, pervertir les valeurs fondamentales de la société et déstabiliser les structures et/ou institutions constitutionnelles, politiques, économiques ou sociales de la Nation, de porter atteinte aux intérêts d’autres pays ou à une organisation internationale. » Or, selon l’article 162, « constitue, aux conditions prévues à l’article 161 ci-dessus, un acte de terrorisme :
1- l’atteinte à la sûreté intérieure et/ou extérieure de l’Etat ;
2- l’atteinte volontaire à la vie des personnes, à leur intégrité, ou à leur liberté, ainsi que l’enlèvement ou la séquestration des personnes ;
3- les infractions en matière informatique (cybercriminalité);
4- les infractions à la sécurité de la navigation aérienne, maritime ou au transport terrestre ;
5- la mise au point, la fabrication, la distension, le transport, la mise en circulation ou l’utilisation illégale d’armes, d’explosifs, de munitions, de substances explosives ou d’engins, fabriqués à l’aide de telles substances ;
6- la fabrication, la possession, l’acquisition, le transport ou la fourniture d’arme nucléaires, chimiques ou biologiques, l’utilisation d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques, ainsi que la recherche et le développement illégaux d’armes de destruction massive.
Le recel de tout moyen en rapport avec l’une des infractions prévues à l’article 163 ci-après. » L’article 163 vient semer définitivement le doute et élargit démesurément le champ déjà fumeux de la définition véritable du terrorisme. Il stipule : « constitue également, aux conditions prévues à l’article 161, ci-dessus, un acte de terrorisme :
1- la destruction ou la dégradation massive d’infrastructures, équipements ou installations industrielle, économiques ou sociales, ou la provocation intentionnelle d’inondation d’une infrastructure, d’un système de transport, ou d’une propriété publique ou privée, ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ou de produire des pertes économiques ou des dégâts matériels considérables ;
2- le fait de propager des substances dangereuses ayant pour effet de mettre en danger la vie humaine ;
3- la perturbation ou l’interruption de l’approvisionnement en eau, en électricité, en hydrocarbures, en moyens de télécommunications ou toute autre ressource naturelle fondamentale ou service public ayant pour effet de mettre en danger des vies humaines ;
4- le fait de propager dans l’atmosphère, au sol, ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou de dégrader le milieu naturel ;
5- le fait de constituer, de diriger ou d’adhérer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de commettre des infractions de terrorisme ou la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents, ou de faire, même fortuitement ou à titre ponctuel, du terrorisme un moyen d’action en vue de la réalisation de ses objectifs ;
6- le fait de recevoir un entraînement, sur le territoire national ou à l’étranger, en vue de commettre un acte de terrorisme, sur le territoire national ou à l’étranger ;
7- le fait de recruter ou d’entrainer sur ou hors du territoire national une personne ou un groupe de personnes en vue de commettre un acte terroriste, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays ;
8- le fait d’utiliser le territoire national, un navire battant pavillon béninois ou un aéronef immatriculé conformément à la législation béninoise au moment des faits, pour commettre un acte de terrorisme contre un autre Etat, ses citoyens, ses intérêts, ou contre une organisation internationale, ou pour y effectuer des actes préparatoires ;
9- le fait de procurer des armes, explosifs, munitions ou autres matières, matériels ou équipements de même nature, à une personne, groupement ou entente en rapport avec des actes de terrorisme, de mettre des compétences ou expertises à leur service, ou fournir, directement ou indirectement, des informations en vue de les aider à commettre un acte de terrorisme ;
10- le fait d’appeler, par n’importe quel moyen, à commettre des actes de terrorisme, d’inciter au fanatisme ethnique, racial ou religieux ou d’utiliser un nom, un terme, un symbole ou tout autre signe dans le but de faire l’apologie d’une organisation terroriste, de l’un de ses dirigeants ou de ses activités ;
11- le fait de procurer un lieu de réunion aux membres d’un groupement, entente ou personnes en rapport avec des actes de terrorisme, d’aider à les loger, les cacher, favoriser leur fuite, leur procurer refuge, assurer leur impunité ou bénéficier du produit de leurs méfaits ;
12- le fait de dissimiler, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, ou faciliter la dissimulation de la véritable origine de bien meubles ou immeubles, revenus ou bénéfices de personnes physiques, quelle qu’en soit la forme, en rapport avec des personnes, groupements ou activités terroristes, ou accepter de les déposer sous un prête-nom ou de les intégrer, ou dissimuler leur intégration, dans d’autres actifs et ce, indépendamment de l’origine licite ou illicite desdits biens ;
13- le fait de :
– ne pas signaler immédiatement aux autorités compétentes, les faits, informations ou renseignements relatifs à la préparation ou à la commission d’actes de terrorisme, dont il a eu connaissance, même étant tenu au secret professionnel ;
– faire des fausses alertes mal intentionnées ;
14- la capture ou le détournement de tout moyen de transport ;
15- la menace de commettre l’un des actes de terrorisme prévu au présent code. »
Comme on peut le constater, c’est à dessein que le Rapporteur spécial a doigté particulièrement l’article 161 et les suivants. C’est aussi à dessein qu’il ne s’est pas prononcé sur le cas de l’ex-Garde des Sceaux, Reckya Madougou, accusée de terrorisme, détenue depuis 2021, malgré l’avis du Groupe de Travail contre la Détention Arbitraire. « C’est un cas dont je n’ai pas fait de commentaire dans mon rapport aujourd’hui. C’est un cas dont je compte recueillir plus d’informations », a-t-il déclaré.
Il a encouragé à poursuivre les efforts pour résorber l’arriéré et faire en sorte que les procédures judiciaires soient rapides et conformes aux normes internationales en matière de droits humains. Il a également encouragé le gouvernement à s’attaquer au problème de la surpopulation carcérale et à veiller à ce que les conditions de détention soient conformes aux normes internationales.
Faut-il le souligner, un premier rapport va être publié dans les prochains jours, suivi d’une version définitive en mars 2025, avec les amendements des autorités béninoises qui ont autorisé cette mission.