Les médias sont-ils pris en otage au Bénin ? Cette interrogation résume bien le rapport publié le vendredi 22 novembre 2024, par Reporters sans frontières (RSF) qui alerte sur une ingérence politique sans précédent dans les médias béninois. Ce qui menace gravement l’indépendance éditoriale des rédactions.
Depuis plusieurs années, cette ingérence se traduit par des pressions directes du gouvernement sur les médias, notamment la télévision nationale et les principaux médias privés. RSF relève que c’est à travers des “notes de cadrage” et des “partenariats”, que les autorités incitent les rédactions à donner une priorité absolue à la couverture des activités gouvernementales, dictant ainsi les sujets à traiter et ceux à ignorer. Cette tendance, déjà évidente à l’échelle nationale, suscite des réactions discrètes au sein de la profession, allant jusqu’à un déclin notable de l’audience de la télévision publique.
Dans ce climat inadéquat, un changement majeur dans la gestion des médias publics a eu lieu en janvier 2024, avec la création d’un comité éditorial au sein de la Société de radiodiffusion et de télévision du Bénin (SRTB), composé exclusivement de membres issus de la Présidence et de trois ministères. Présidé par l’ancien journaliste et actuel secrétaire général adjoint et porte-parole du gouvernement Wilfried Léandre Houngbédji, le comité éditorial est composé de : Sinatou Saka, ancienne journaliste et représentante de la Présidence, René Talon, en poste à la direction de la Communication de la Présidence et représentant de la Présidence, Marc Layiwola, William Codjo et Victor Soumon Lawin, représentants respectivement des ministères du Numérique et de la Digitalisation, du Tourisme, de la Culture et des Arts, et des Sports. Ce comité a désormais le pouvoir de valider ou censurer les reportages diffusés à la télévision publique. Des sources internes à la SRTB confirment à RSF que tous les reportages destinés au journal télévisé de 20 heures sont systématiquement envoyés pour validation au Palais de la République, et certains sujets sont purement et simplement écartés.
Mise en place d’un modèle de média d’État anachronique
La création de ce comité éditorial, par décret présidentiel du 17 janvier 2024, suivie de la naissance de la SRTB, en novembre 2023 émanant d’une fusion entre l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (ORTB) et le Centre multimédia des adolescents et des jeunes du Bénin (CMAJB) s’inscrit dans un processus de séquestration des chaînes nationales. Ce contrôle politique accru sur la télévision publique avec l’État qui détient toutes les actions pour les deux prochaines années de cette société anonyme qu’est la SRTB, soulève des inquiétudes concernant l’avenir de l’indépendance des médias au Bénin. « Transformée en média d’État, la télévision publique ne saurait offrir aux Béninois une couverture plurielle à même de les informer avec fiabilité et honnêteté des sujets d’intérêt général », Fustige Reporters Sans Frontières à qui Georges Amlon, ancien directeur de l’ORTB (Office de radiodiffusion et télévision du Bénin), a confié son inquiétude sur le sujet : « On n’avait jamais vu une telle situation, même pendant le régime révolutionnaire. » En effet, la création d’un comité exclusivement gouvernemental pour superviser les contenus éditoriaux semble s’éloigner du modèle de service public tel qu’il est défini par la loi béninoise.
Dans cette gouvernance autoritaire, les dirigeants béninois franchissent un nouveau cap, constate l’organisation, en imposant une ingérence éditoriale directe, inédite et anachronique, aux équipes de la télévision publique. Ce qui a conduit d’ailleurs à la suppression de plusieurs émissions de l’antenne de Bénin TV sur ordre de ce comité éditorial, sans consultation des équipes éditoriales, et ce dans une optique vague de “professionnaliser nos productions”, explique une source interne à RSF.
Pourtant, l’article 5 de la loi n°2015-07 du 20 mars 2015 sur le Code de l’information et de la communication stipule que les médias publics ne doivent être « ni gouvernementaux, ni privés, ni commerciaux », mais doivent garantir une information objective, indépendante et diversifiée. Mais, cette nouvelle organisation des médias publics, contrôlés par des membres de l’État, s’éloigne clairement de ces principes.
Face à une telle réalité non démocratique, Reporters sans frontières appelle à une révision urgente de la composition et des pouvoirs de ce comité éditorial, afin de garantir aux citoyens béninois un accès à une information fiable, objective et diversifiée, conforme aux principes d’un véritable service public. Si cette situation perdure, le Bénin risque de s’engager sur une pente dangereuse, où les médias d’État se transforment en simples instruments de propagande, au détriment de la liberté de la presse et de la démocratie.