1er août 1960-1er août 2024. 64 ans déjà que la République du Bénin a accédé à la souveraine internationale. En ce jour de ce rappel qui suscite tout le faste auquel on assiste dans les toutes villes du Bénin, l’ambassadeur Omar Arouna se veut moins enthousiaste en adressant au peuple béninois une note dans laquelle il fait le point de la situation qui prévaut dans le pays sur divers plans. Il met l’accent sur le manque de communication du gouvernement à propos du terrorisme ambiant qui prévaut dans le nord du Bénin et fustige « le déclin de la démocratie et l’érosion des libertés » dont l’illustration parfaite est l’incarcération de Reckya Madougou et Joël Aïvo, ainsi que l’exil de plusieurs têtes pensantes du pays. Omar Arouna dénonce également la corruption érigée en mode de gestion au « sommet de l’État » tout en rappelant que différentes réformes du régime de Patrice Talon ont rendu la vie chère et appauvri le peuple qui ploie sous le poids des « politiques fiscales » et des « emprunts oppressifs ». Il clôt son propos en invitant tous les Béninois à une prise de conscience, seul gage d’un « avenir meilleur ».
Lire ci-dessous l’entièreté de l’adresse de l’ambassadeur Omar Arouna à la nation :
LE BENIN Á SOIXANTE–QUATRE ANS : AU BORD DU GOUFFRE, UNE GUERRE CACHÉE ET UN PEUPLE IGNORÉ
En ce 1er août 2024, alors que le Bénin célèbre son 64ème anniversaire d’indépendance, le pays se trouve dans une situation des plus préoccupantes, loin de l’image de paix et de prospérité que le gouvernement de Patrice Talon tente de projeter. Derrière les festivités et les apparences trompeuses, le Bénin est en guerre. Une guerre que le gouvernement cache sciemment à son peuple, préférant masquer la réalité derrière un voile d’illusion et de normalité.
Une guerre qui ravage le nord du Bénin
Depuis le début de l’année 2023, le Bénin est le théâtre d’une intensification des attaques terroristes, principalement concentrées dans le nord du pays. En seulement quatre mois, entre janvier et avril 2023, le Bénin a subi 54 attaques terroristes, selon les données de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC). Ces attaques, autrefois rares, se sont transformées en une réalité quotidienne pour les habitants des régions frontalières de l’Atakora et de l’Alibori, qui vivent désormais sous la menace constante de la violence extrémiste.
Le nombre d’enlèvements a explosé, passant de zéro en 2021 à 33 en 2023. À la fin de l’année 2023, le nord du Bénin avait enregistré au moins 101 enlèvements ou tentatives d’enlèvement depuis 2019, avec 75 cas rien qu’en 2023, soit plus de trois fois le chiffre de l’année précédente. Cette montée de la violence a eu des conséquences tragiques pour les civils, avec un nombre de décès liés à ces attaques qui a doublé en 2023, atteignant environ 150 morts à la mi-année. Les villages proches du parc national de la Pendjari, tels que Koabagou et Toura, ont été particulièrement touchés, avec 20 civils tués lors d’attaques en mai 2023.
La réponse du gouvernement a été une militarisation accrue de la région, avec plus de 3 000 soldats patrouillant dans les zones frontalières et une campagne visant à recruter et déployer 5 000 soldats supplémentaires. Cependant, ces efforts, bien qu’importants, sont accompagnés d’une censure stricte de l’information et d’arrestations arbitraires, créant un climat de méfiance et de désespoir parmi la population locale.
Le déclin de la démocratie et l’érosion des libertés
Le Bénin, autrefois cité en exemple pour ses avancées démocratiques, subit aujourd’hui un déclin inquiétant de ses institutions et de ses libertés. Depuis l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon en 2016, les fondements mêmes de la démocratie béninoise ont été ébranlés. Le code électoral controversé, mis en place pour marginaliser l’opposition, a transformé les élections en une formalité vide de sens, garantissant la mainmise du pouvoir en place sur le processus politique.
Les réformes entreprises sous ce régime ne visent pas seulement à consolider le pouvoir, mais tendent également à effacer l’histoire du pays, à redéfinir les récits nationaux pour servir les intérêts d’une élite restreinte. Pendant ce temps, les opposants politiques sont emprisonnés sous des prétextes fallacieux, tandis que ceux qui parviennent à fuir vivent en exil, craignant pour leurs vies. Des figures emblématiques telles que Reckya Madougou et Joël Aivo languissent en prison. De nombreux opposants, tels que Valentin Djenontin-Agossou, Amissetou Affo Djobo, Komi Koutché, Sébastien Adjavon, Léonce Houngbadji et Léhady Soglo, vivent en exil, fuyant la répression et les menaces constantes, victimes d’un système judiciaire politisé et corrompu.
La corruption et la mainmise sur l’économie
La corruption au sommet de l’État est devenue endémique, aggravant la précarité de la population. Le clan Talon, à travers une série de réformes économiques, a consolidé sa mainmise sur tous les secteurs clés de l’économie béninoise, des infrastructures aux ressources naturelles. Cette concentration des richesses entre les mains de quelques privilégiés accentue les inégalités et appauvrit encore davantage le peuple béninois.
Les projets de développement, souvent financés par des emprunts massifs, sont devenus un fardeau pour les générations futures. Les dettes accumulées appauvrissent le pays, tandis que les bénéfices de ces projets sont capturés par une élite corrompue. Pendant ce temps, les expropriations sans compensation juste continuent de priver de nombreuses familles de leurs terres, exacerbant la précarité et le sentiment d’injustice.
La cherté de la vie et l’appauvrissement du peuple
Les réformes économiques, loin de bénéficier à la population, ont entraîné une flambée des prix et une précarité croissante. La cherté de la vie est devenue insoutenable pour la majorité des Béninois, tandis que les politiques fiscales et les emprunts oppressifs appauvrissent davantage le peuple. Le coût de la vie ne cesse d’augmenter, plongeant de plus en plus de familles dans la pauvreté, alors que les richesses nationales sont détournées au profit d’une minorité.
Un appel au recueillement et à la prise de conscience
Aujourd’hui, alors que la nation célèbre son indépendance, il est essentiel de se demander si ces festivités reflètent véritablement l’état de notre pays. Au lieu de se réjouir aveuglément, il est temps pour chaque Béninois de se recueillir et de prendre conscience des défis auxquels notre pays est confronté.
Le gouvernement doit également être interpellé pour qu’il prenne la mesure de cette crise et s’engage à trouver des solutions. La transparence doit être rétablie, notamment en informant le peuple sur la véritable situation sécuritaire et en assurant une reddition des comptes sur la gestion de cette crise. Il est crucial que le gouvernement prenne ses responsabilités pour restaurer la confiance du peuple et travailler à un Bénin où les droits et les libertés sont respectés.
En ce jour de fête nationale, que ce moment soit un temps de réflexion, non seulement sur le passé, mais aussi sur l’avenir de notre nation. Il appartient à chacun de nous de veiller à ce que notre pays retrouve le chemin de la démocratie, de la justice et de la paix. Que cet appel à la prise de conscience soit le premier pas vers un avenir meilleur pour tous les Béninois.