C’est l’un des noms les plus cités pour la succession de Patrice Talon. Mais s’il veut vraiment le pouvoir, Olivier Boko devra l’arracher des mains de son ‘’ami’’ Patrice Talon. L’homme pour qui, il a pris tous les risques est aujourd’hui son principal ennemi. Portrait d’un ami trahi.
Par Julien Coovi
La légende populaire y croyait dur comme fer : Patrice Talon et Olivier Boko seraient liés par un pacte sacré. La complicité entre les deux hommes était à tel point fusionnelle que les béninois les confondaient volontiers. Partout où il y avait Patrice Talon, Olivier Boko n’était jamais loin. Dans les allées du Palais de la Marina, le fidèle compagnon du nouveau président de la république avait même pris dès les premiers jours de la présidence Talon, le surnom de « vice-président », tant son implication dans la gestion du pouvoir était grande. Pressé de questions par les journalistes, le chef de l’état fraîchement installé assumera publiquement son amitié et sa complicité avec monsieur Boko. Pour beaucoup, Olivier Boko était le co-propriétaire et l’héritier naturel de ce pouvoir qu’ils avaient conquis ensemble dans la douleur. C’est donc tout naturellement que certains ont pu imaginer que le président de la république était dans le secret de la vague de suscitations de candidature autour de la personne de son ‘’ami’’. Jusqu’à la fameuse interview du 23 décembre dernier. Ce jour-là le président Talon a douché l’enthousiasme de la galaxie Boko en laissant clairement entendre qu’Olivier Boko n’était pas son dauphin.
Une rencontre dramatique
Un acte vécu par l’intéressé et son clan comme une trahison. Comme l’a révélé en exclusivité Olofofo en juin 2023, les relations entre les deux hommes se sont considérablement refroidies depuis qu’Olivier Boko a décidé de sortir de l’ombre de Patrice Talon et de s’émanciper de sa tutelle pour nourrir ses propres ambitions. La décision de se mettre en ordre de bataille, il a dû la prendre contraint et forcé par l’attitude de plus en plus distante de ‘’son ami’’ à son égard. Depuis sa réélection controversée en Avril 2021, Patrice Talon aurait systématiquement évité de parler de sa succession avec monsieur Boko, celui-là même qui a pris tous les risques pour lui. La rupture était actée.
C’est devant les tribunaux que les deux hommes d’affaires se sont connus, au début des années 2000. Patrice Talon qui se battait déjà contre Martin Rodriguez pour l’hégémonie dans le secteur du coton, n’appréciait pas beaucoup que d’autres acteurs se mêlent à ce marché si juteux. Ancien importateur de pneumatiques d’occasion, Olivier Boko s’était en effet reconverti dans le business des intrants et réussissait à glaner quelques contrats avec le gouvernement. De l’argent en moins pour Patrice Talon qui a profité d’un petit contentieux pour traîner son rival devant les tribunaux. Le bras de fer se termina par une victoire sèche d’Olivier Boko qui reçut dans la foulée, une proposition d’alliance de la part de son rival. En fin tacticien, Patrice Talon avait compris qu’il était plus bénéfique d’avoir avec lui un homme d’affaires qui était assez malin pour gagner un procès contre lui. Naissait ainsi le partenariat le plus prolifique de la vie économique et politique du Bénin.
L’épisode Yayi
Les deux hommes s’entendaient comme larrons en foire. Ils étaient dans tous les coups, « surtout les plus tordus », commente un journaliste qui les suit depuis une vingtaine d’années. En 2005, le régime de Mathieu Kérékou égrenait ses derniers jours. Le général avec qui les deux partenaires avaient des relations plutôt tendues n’allait pas pouvoir faire un troisième mandat, et n’avait pas désigné de dauphin. Entre la cacophonie de la majorité présidentielle et les frémissements de l’opposition, le jeu de sa succession était ouvert. Pour Patrice Talon et son ami Boko, le moment était décisif. Leur avenir dans le secteur du coton allait dépendre de la pertinence de leur positionnement dans ce chaos qui précédait le choix du prochain président. Parmi la dizaine de noms qui revenaient, il y en avait un qui sortait clairement du lot, un certain Yayi Boni. Depuis deux ans, le président de la BOAD sillonnait le pays pour préparer sa candidature. C’était peut-être le bon cheval. Il fallait trouver le moyen de le ferrer. Le candidat était un fervent chrétien évangélique, ça tombait bien, Olivier Boko aussi… La suite appartient à l’histoire
Compagnon d’infortune de Talon
En 2012, après une embrouille sur le contrat du PVI au port de Cotonou, Patrice Talon s’est retrouvé en exil avec femme et enfants. Il sera rejoint peu de temps après par son ami Olivier Boko. Le Directeur Général de la Police Nationale de l’époque, le fantasque Louis Philippe Houndégnon qui connaissait très bien les liens entre les deux hommes, n’avait pas hésité à envoyer ses éléments au domicile d’Olivier Boko quand ils ont échoué à mettre la main sur Patrice Talon. Les autorités pensaient que c’était l’endroit où se cacherait le milliardaire tombé en disgrâce. Pris de court par ce départ impromptu, c’est sur Olivier Boko que le roi du coton se serait appuyé pour tenir le coup. Selon plusieurs sources qui connaissent bien les deux hommes, Olivier Boko aurait été d’un important soutien moral et parfois matériel pour son ami qui s’était retrouvé presqu’au bord de la faillite à cause des procédures judiciaires qui s’étaient accumulées contre lui.
Depuis Paris où ils ont établi leur quartier général, les deux amis ont organisé et gagné toutes les batailles judiciaires et politiques qu’ils ont engagées contre Boni Yayi et son gouvernement. Malgré les preuves irréfutables des projets d’empoisonnement et de coup d’état, les deux hommessont arrivés, grâce à leur réseau, à obtenir non seulement un non-lieu pour ces dossiers devant les juridictions béninoises, mais surtout le pardon du Chef d’État d’alors.
Un retour risqué
Sous la pression de pasteurs, d’anciens présidents ou de présidents en exercice, Boni Yayi avait certes, publiquement accordé son pardon. Mais Patrice Talon n’avait encore aucune preuve de la sincérité de ce pardon. Allait-il se faire arrêter une fois descendu d’avion ? C’est Olivier Boko qui lui fournira la réponse la plus claire possible. En éclaireur audacieux, il s’est rendu à Cotonou pour tester la sincérité du régime. « Si Olivier Boko se faisait arrêter à l’époque, Patrice Talon serait peut-être encore en exil aujourd’hui », constate un des soutiens du ‘’vice-président’’, avant d’ajouter, un peu dépité, « il a pris tous les risques pour lui ». Une analyse que bat en brèche le clan Talon pour qui l’importance d’Olivier Boko est surjouée pour donner de la contenance à un personnage « sans grande importance ». « Contrairement à ce qu’on raconte, Olivier (Boko) n’était pas rentré pour donner sa poitrine, pointe un membre du second cercle de Talon. À l’époque, le président Yayi n’avait plus aucun moyen d’action, il avait perdu tous ses combats contre nous, il était encerclé ». Toujours est-il que quelques mois après, Patrice Talon, la tête pensante du duo d’hommes d’affaires, est candidat à l’élection présidentielle. Mais c’est Olivier Boko, le bras opérationnel du duo, qui a coordonné d’une main de maître cette campagne qui conduira à leur victoire.
Mai 2019 : le sauvetage express
Depuis 2016, Olivier Boko est resté au cœur du pouvoir. Il a travaillé à faire assoir et à enraciner le pouvoir de Patrice Talon dont des pans entiers sont encore aujourd’hui décriés par les béninois. Il est presqu’aussi craint que Patrice Talon lui-même. Dans l’imaginaire collectif des béninois, Olivier Boko est ‘’le bras armé’’ de Patrice Talon. « Sans le courage et le sang-froid de Boko, Patrice Talon aurait été renversé en mai 2019 », reconnait une source du ministère de l’intérieur qui a requis l’anonymat. De fait, c’est depuis ses bureaux privés à Sikècodji qu’il a dirigé d’une main de fer la sanglante répression des manifestations des 1er et 2 mai 2019 à Cadjèhoun contre l’exclusion de l’opposition des législatives de 2019. Devant les atermoiements du DGPR de l’époque, et la paralysie de la volonté du chef de l’État, c’est Olivier Boko qui aurait pris en main le commandement des forces terrestres et sifflé la fin de cette manifestation qui menaçait, selon le pouvoir, de marcher sur l’ORTB et sur la présidence de la république.
Envie d’en découdre ?
Olivier Boko a mis du temps pour l’accepter. Il va probablement payer cher son ambition de vouloir prendre la place de son ami, lequel ami en toute vraisemblance, a d’autres projets pour son siège. L’homme d’affaires qui a servi Patrice Talon avec loyauté jusqu’à maintenant ne comprend sans doute pas la guerre larvée que lui livre son ami depuis quelques mois. De lui, il avait espéré un retour d’ascenseur, il sait désormais que s’il veut vraiment le pouvoir en 2026, il devra aller l’arracher des mains de son ami, au péril peut-être de sa vie. Sinon, il est mort.