10 novembre 2024

Ignace et Richard auraient pu sauver Ernest

Ernest Kaho

Comme la plupart de ceux qui sont nĂ©s dans les annĂ©es 1980, c’est sur le petit Ă©cran que j’ai dĂ©couvert l’immense talent de Ernest Kaho. Le monsieur avait un don formidable pour la comĂ©die. Pour moi, son chef-d’Ɠuvre le plus mĂ©morable Ă©tait le clip publicitaire sur la SBEE avec Ken Lohento dans le rĂŽle d’Apo et Ange Badou (RIP) dans celui d’Atagan. Je l’ai ensuite vu dans le tĂ©lĂ©film Taxi Brousse rĂ©alisĂ© par son ami Ignace Yetchenou, un autre comĂ©dien pĂ©tri de talent et d’intelligence… j’y reviendrai.

Ernest, vous disais-je, avait un don unique pour le thĂ©Ăątre. Les quelques-unes de ses reprĂ©sentations que j’ai eu l’honneur de suivre Ă  certains spectacles du FITHEB, m’en ont dĂ©finitivement convaincu. Son langage corporel, la clartĂ© de son Ă©locution, l’unicitĂ© de sa voix et sa prĂ©sence scĂ©nique exceptionnelle l’inscrivaient parmi la crĂšme du thĂ©Ăątre bĂ©ninois. C’est pour lui ressembler que je m’étais engagĂ© dans la troupe thĂ©Ăątrale du CollĂšge Catholique Notre Dame de Lourdes de Porto-Novo et plus tard, dans celle de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM). C’est donc avec beaucoup de tristesse que j’ai partagĂ© sur mon mur, la vidĂ©o par laquelle l’opinion publique nationale dĂ©couvrait que l’artiste Ă©tait gravement malade et pouvait mourir Ă  tout moment sans un formidable Ă©lan de gĂ©nĂ©rositĂ© de la part de ses concitoyens.

Cynisme du destin, la vidĂ©o-SOS a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e et lancĂ©e par Ignace Yetchenou, un artiste qui met toute son intelligence, tout son talent et son immense popularitĂ© au service de la dĂ©fense d’un pouvoir dont la cruautĂ© face Ă  la misĂšre des plus fragiles n’a son Ă©quivalent nulle part dans le monde. Un pouvoir qui est capable de se vanter d’avoir mis 13 milliards dans la rĂ©novation du palais prĂ©sidentiel alors que les contribuables meurent faute de soin dans le seul hĂŽpital de rĂ©fĂ©rence du pays, Ă  un jet de pierre des nouveaux palmiers prĂ©sidentiels ; un pouvoir qui est capable de dĂ©caisser des milliards pour aller expliquer aux populations affamĂ©es pourquoi elle n’arrivent plus Ă  se nourrir ; un pouvoir qui a supprimĂ© la gratuitĂ© de la prise en charge des soins pour les malades d’insuffisance rĂ©nale et donc causĂ© la dĂ©gradation de l’état de santĂ©, puis la mort d’Ernest Kaho. On me reprochera de vouloir me servir de la mort d’un artiste pour polĂ©miquer. J’aimerais dire Ă  l’épouse, aux enfants et aux parents de l’illustre disparu que je suis profondĂ©ment attristĂ© par cet Ă©vĂ©nement et que j’ai un profond respect pour leur douleur. Mais il y a des vĂ©ritĂ©s qu’un peuple qui veut progresser doit pouvoir se dire en se regardant dans les yeux. Si les artistes bĂ©ninois avaient mis leurs talents et leur popularitĂ© au service du bien-ĂȘtre social de leur public, si Ignace Yetchenou et Richard Flash par exemple n’étaient pas plus habiles Ă  jouer les KlĂ©bĂ©s d’un gouvernement inhumain qu’à dĂ©fendre les acquis sociaux des populations qui les applaudissent, nulle doute qu’ils auraient pu empĂȘcher le gouvernement d’arracher Ă  Ernest Kaho, la seule chose qui le maintenait en vie : la gratuitĂ© de ses soins.

Ernesto Kaho n’est que la Ă©niĂšme victime de ce rĂ©gime cruel et insensible aux cris de dĂ©tresse de sa population. Des centaines d’autres dialysĂ©s avant lui Ă©taient morts dans l’indiffĂ©rence de nos gouvernants qui ne comprennent que le langage du profit et de la rentabilitĂ©. Sans oublier les malades de cancer dont le chef de l’État a suggĂ©rĂ© aux Ă©vĂȘques bĂ©ninois qu’il Ă©tait prĂ©fĂ©rable de les laisser crever, avant de se prĂ©cipiter lui-mĂȘme Ă  Paris puis en Turquie pour se soigner de son propre cancer, aux frais du contribuable.

L’artiste est parti, mais pour Ă©viter que les vaisseaux sanguins trop mous, les cƓurs trop fragiles, les taux de sucre trop Ă©levĂ©s dans le sang, ou encore un malheureux paludisme n’emportent beaucoup d’autres de ses confrĂšres, il faudra peut-ĂȘtre qu’enfin les artistes assument leur fonction sociale, voire politique.

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