Sénégal : Macky Sall, cerveau d’un putsch civil en bande organisée

Sénégal : Macky Sall, cerveau d’un putsch civil en bande organisée

Le 3 février dernier, le président sénégalais a plongé dans l’embarras tous les démocrates du continent, en arrêtant unilatéralement le processus électoral en cours pour son remplacement. Deux jours plus tard, avec l’aide des députés de son camp et de la gendarmerie, il s’offre une rallonge de 10 mois sur son mandat et plonge le pays dans l’incertitude.

Par Cheikh Ousmane Kane (Dakar)

Abuja, jeudi 10 août 2023. Les onze (11) chefs d’États de la CEDEAO dont le pouvoir est accepté comme « démocratique » par l’institution, se retrouvent pour la deuxième fois en sommet extraordinaire dans la capitale nigériane depuis le coup d’état du général Abderramane Tiani. Quinze jours venaient de s’écouler depuis que le chef de la garde présidentielle nigérienne est installé dans le fauteuil de Mohamed Bazoum qu’il gardait toujours en captivité. Il s’agissait pour ces responsables, de peaufiner l’opération militaire annoncée contre les nouvelles autorités de Niamey qui n’ont pas bougé d’une oreille devant les exigences de la CEDEAO, encore moins devant ses menaces.

Ce jour-là, à l’issue du sommet, deux (02) chefs d’État s’étaient avancés volontiers devant les caméras et les micros de la presse qui faisaient le pied de grue dans les couloirs. Il s’agissait du Béninois Patrice Talon et du Sénégalais Macky Sall. Les déclarations que chacun d’eux fit ce jour-là pour justifier la violence des sanctions et l’intransigeance de l’organisation envers le CNSP (transition nigérienne) resteront dans les annales.

Coup d’état

C’est le même Macky Sall qui, moins de six (6) mois plus tard, décidera de façon unilatérale, de suspendre le processus électoral en cours depuis novembre dans le cadre de l’élection du prochain président de la république. Par décret n°2024-106 du 03 février 2024, le président sénégalais abroge celui du 29 novembre qui convoquait le corps électoral. Dans la foulée, et devant une opinion publique et une opposition, étourdies par son audace, il se paiera même à peu de frais une rallonge de 10 mois sur la durée de son mandat. « Je n’ai pas de mots pour qualifier ça, ça me dépasse totalement », a lancé le secrétaire général du gouvernement, Abdoulatif Coulibaly. Il a démissionné juste après l’annonce du report des élections. Pour parvenir à ses fins, le président Sall n’a eu qu’à compter sur une majorité mécanique à l’assemblée nationale soutenue par le parti de l’ancien président Abdoulaye Wade, et sur une escouade de la gendarmerie prête à exécuter promptement tous les ordres qu’elle reçoit. Les hommes en uniforme n’ont pas hésité à entrer dans l’hémicycle pour en expulser les députés de l’opposition qui exigeaient que l’assemblée nationale débatte autour de la proposition de loi constitutionnelle avant son vote éventuel.

Conformément à la constitution sénégalaise, Macky Sall devait passer service au prochain président le 2 avril 2024, date de la fin de son mandat. Avec le vote de la proposition de loi constitutionnelle, il s’assure de ne pas partir avant 2025 au moins, puisque l’assemblée nationale vient de fixer au 15 décembre la date du premier tour de l’élection présidentielle.

Fascinée par la rapidité de son exécution, l’opposition sénégalaise n’a eu que le temps de constater ce qu’elle qualifie de « coup d’état institutionnel, perpétré au mépris de tous les principes et de toutes les règles que défendait jusqu’à récemment monsieur Macky Sall. » Et Quand on rappelle à ses soutiens la position qu’il avait défendue concernant l’idée d’un report des élections et celle de la prolongation du mandat du président Abdoulaye Wade en 2019, ils balayent de revers de la main : « le contexte n’est pas le même ».

Problèmes internes à l’APR

Pourtant, le 4 juillet dernier, après avoir longtemps entretenu le flou autour de sa candidature pour un troisième mandat, le successeur d’Abdoulaye Wade avait annoncé qu’il ne se présentera pas, même si, insiste-t-il « la Constitution m’en donne le droit ».

Il faut croire que bien que le président Sall ait désigné un dauphin, ‘’ceux et celles qui souhaitaient le voir poursuivre la construction du Sénégal’’ (discours du 4 juillet 2023), n’avaient pas encore dit leur dernier mot. Amadou Ba, actuel premier ministre, chargé de porter les couleurs de l’APR (parti présidentiel) lors des élections, n’a jamais vraiment été accepté du camp présidentiel. Il lui est reproché son manque de charisme et des accointances passées avec Ousmane Sonko, l’opposant le plus redouté de la mouvance présidentielle. Pire, plusieurs sondages clandestins le créditent d’intentions de vote insuffisantes pour éviter un second tour de tous les dangers. D’autant plus que la stratégie de l’ancien PASTEF (parti dissout de l’opposant sénégalais le plus en vue) face à la disqualification de son leader Ousmane Sonko semble très efficace. Plusieurs soutiens d’Amadou Ba indiquent que cette guerre de leadership serait l’unique raison de la suspension de processus électoral. « Ce n’est pas parce que la campagne d’Amadou Ba a du mal à décoller qu’il fallait en conclure qu’il faut annuler l’élection de février, ce n’est pas imaginable, » a indiqué à RFI l’ex-ministre Abdoulatif Coulibaly.

Connivence avec Karim Wade

Une version contestée par les fidèles de Macky Sall qui préfèrent s’en tenir à la raison officielle annoncée par le président dans son discours. « Notre pays est confronté depuis quelques jours à un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges”, a expliqué Macky Sall. En effet, suite à l’invalidation de la candidature de Karim Wade, le PDS a initié à l’assemblée nationale une commission parlementaire pour enquêter sur la moralité de deux des juges du conseil constitutionnel qu’il soupçonne d’avoir été corrompus par le premier ministre.

Le Conseil constitutionnel avait exclu du scrutin des dizaines de prétendants dont le candidat antisystème Ousmane Sonko, en prison depuis juillet 2023 notamment pour appel à l’insurrection et disqualifié par le Conseil à la suite d’une condamnation pour diffamation dans un dossier distinct. Mais il y avait également Karim Wade (55 ans), ancien ministre et fils de l’ex-président Abdoulaye Wade (2000-2012) dont la candidature a été rejeté parce qu’il était toujours français à la date de la clôture du dépôt des candidatures. Seulement voilà, il y a une autre candidate, Rose Wardini, dont la candidature a été validée alors qu’elle est soupçonnée de posséder elle aussi une double nationalité. C’est d’ailleurs le groupe parlementaire PDS qui a initié la proposition de loi constitutionnelle consécutive au décret de suspension du processus électoral.

Tollé international

Au titre des réactions, celle de la CEDEAO était sans nul doute la plus attendue. L’institution qui s’est illustrée dernièrement par sa fermeté face aux putschs s’est gardée de condamner formellement les événements pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire un putsch. Après un premier communiqué jugé trop timoré samedi, la commission a fait un petit pas de côté mardi en encourageant la classe politique sénégalaise à « prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour rétablir le calendrier électoral conformément aux dispositions de la Constitution du Sénégal. »

Réaction toute aussi prudente du président de la commission de l’Union Africaine qui s’est contenté dimanche d’exprimer sa préoccupation face au report sine die de l’élection présidentielle au Sénégal, appelant les autorités à organiser le scrutin « dès que possible ».

Sur le compte X du bureau des affaires du département d’État, les Etats-Unis se sont déclarés “profondément préoccupés” par l’annonce du report sine die de l’élection présidentielle et ont pressé les autorités de fixer “rapidement et dans le calme” une nouvelle date. L’Union Européenne, quant à elle indique que L’annonce par les autorités sénégalaises d’un report sine die de l’élection présidentielle prévue le 25 février prochain ouvre une période d’incertitude au Sénégal.

Vive tension au Sénégal

Mais comme l’on pouvait s’y attendre, c’est au Sénégal-même que se sont exprimées des protestations les plus vives. L’annonce de la suspension du processus électoral n’a pas manqué de provoquer des émeutes à Dakar. Dès la fin de son adresse à la nation, des centaines de jeunes ont érigé des barricades et mis le feu à des pneus. Les forces de l’ordre ont procédé à de nombreuses arrestations dont celle de l’ancienne ministre Aminata Touré. Dès samedi soir, la télévision Walf spécialisée dans les directs, a été suspendue et sa licence a été purement et simplement retirée lundi. Condamnation presqu’unanime de la presse dakaroise dont les manchettes ont été consacrée à l’indignation ressentie. Le candidat Khalifa Sall, ancien maire de Dakar qui a fait 5 ans de prison a appelé « tous les sénégalais à se lever contre ce coup d’État », tandis que les partisans du candidat de l’ex-Pastef ont tenté mardi de lancer leur campagne comme si de rien n’était. Ils en ont été empêchés par la police.

Mais les tensions n’épargnent pas le camp présidentiel. Mardi une autre ministre, la professeure Awa Marie Coll Seck, ministre d’état en charge de l’initiative pour la transparence dans les industries extractives, a rendu sa démission au président Sall, afin de protester contre ce qu’elle qualifie de « une violation flagrante de notre charte fondamentale ».

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