Police Républicaine : les commissaires de la fraude ?

Police Républicaine : Les commissaires de la fraude ?

(De la nécessité de faire la lumière sur les derniers agents promus au grade d’officiers)

La prochaine promotion d’officiers de la police républicaine du Bénin pourrait entrer dans l’histoire comme étant l’une des plus illégitimes que le Bénin ait jamais connues. Le processus ayant abouti à leur graduation a été jalonné d’irrégularités de procédure, de trafic d’influence, et peut-être même de corruption.

On aurait pu penser que la volonté officielle du gouvernement Talon de lutter contre la fraude et la corruption dans les processus publics s’appliquait à tout le monde, on aurait pu croire que la culture de la rigueur et de la transparence avait commencé à s’enraciner dans la gouvernance publique. On avait manifestement tort, puisqu’il ne se passe plus aucun mois sans qu’un nouveau scandale de corruption ou de fraude n’éclabousse une structure publique.

Dans les jours à venir (cette semaine peut-être), la police républicaine présentera une nouvelle promotion d’officiers, de nouveaux futurs commissaires de police qui seront en charge de faire respecter la loi dans les différentes localités du Bénin. La nouvelle aurait pu être accueillie avec des clameurs de joie s’il n’y avait pas de grosses taches noires sur le processus qui a conduit à leur promotion. On parle de violation délibérée de la loi, on parle d’intimidation et de trafic d’influence, mais on parle aussi de tentative de corruption, le tout, sur fond de rivalité entre ex-gendarmes et ex-policiers.

Vices de procédure

Tout a commencé le 15 avril 2022, quand le Directeur Général de la Police Républicaine (DGPR) Soumaïla Yaya a pris une note de service (la note de service n°060/DGPR/DFS/SPFS/SA) pour mettre en stage 243 ex adjudants et adjudants-chefs de l’ex-gendarmerie nationale, reconvertis en policiers suite à la réforme ayant conduit à la fusion de la gendarmerie et de la police en un corps unique : la Police Républicaine. Seulement, la légalité de cette note de service soulève de grandes questions puisque conformément à l’article 16 de la loi n°2029-16 du 03 juillet 2020 portant statut spécial du personnel de la police républicaine, « les besoins en personnel et les modalités d’organisation des différents concours et examens professionnels sont définis par décret pris en conseil des ministres. » Le Directeur Général de la Police Républicaine aurait-il délibérément décidé d’ignorer la loi ? Toujours est-il qu’il n’est fait mention nulle part d’un quelconque décret relatif au besoin de formation et de mise à disposition de nouveaux officiers. Sur quelle base cette décision a-t-elle donc été prise ? Et pourquoi ni le ministère de l’intérieur, ni la présidence de la république n’ont retoqué le DGPR pour cette liberté qu’il se serait donnée ? La question reste posée.

Mais les responsables de la Police républicaine ne se seraient pas arrêtés à cette violation. Le second alinéa de l’article 16 de la loi portant statut spécial du personnel de la police républicaine stipule que « les concours directs d’accès aux différents corps sont conjointement organisés par la direction générale de la police républicaine et les outres directions compétentes de I’Etat. » Il s’agit par exemple de la direction des examens et concours (DEC) qui est la structure en charge de l’organisation des épreuves servant pour le recrutement des agents de l’état, ou pour leur avancement, selon le cas. Il se fait que la DEC n’aura jamais été associée au concours ayant consacré le ‘’succès’’ des 234 nouveaux officiers de la Police Républicaine.

Opposition du ministère des finances

Tout le processus a donc été exclusivement décidé et géré au niveau de la direction générale de la police républicaine, par les services du DG Soumaïla Yaya. Pourtant, comme a pu l’établir OLOFOFO, le ministère des finances avait clairement marqué son opposition à la « création » de nouveaux officiers de la police républicaine, pour des questions d’ordre budgétaire et juridique. En effet, le ministre Romuald Wadagni ne comprenait pas que monsieur Soumaïla Yaya insiste pour avoir de nouveaux officiers alors qu’il existe 232 officiers de l’ex Police Nationale qui avaient déjà été formés aux frais de l’État, qui sont déjà payé à l’indice des officiers, mais qui ont été laissés au garage malgré une décision de la Cour Suprême demandant à l’administration policière de reconstituer leur carrière. Pour le ministère des finances, la réhabilitation de ces 232 officiers serait plus économique que la ‘’création’’ de nouveaux officiers, étant donné que cela n’aurait aucune incidence financière sur le budget de l’État. Alors que le passage des ex adjudants et adjudants-chefs dans la catégorie des officiers gonflerait considérablement et de façon inutile la masse salariale de la Police Républicaine. C’est la raison pour laquelle le décret prévu à l’article 16 de la loi portant statut du personnel de la police républicaine n’a pas été pris.   

Trafics d’influence

Qu’à cela ne tienne, le DGPR était déterminé à avancer. Et ce n’est pas une opposition du ministère des finances qui l’en empêcherait. Après douze (12) mois de formation, 234 des 243 ex adjudants et adjudants-chefs de l’ex gendarmerie nationale – le corps d’origine de Soumaïla Yaya – se sont retrouvés au collège privé « Application » de Porto-Novo le lundi 19 juin 2023 pour l’évaluation de leurs compétences. Ils ont composé dans les cinq matières que sont : « connaissances générales, spécifiques et professionnelles », « maintien de l’ordre », « écrit de service », « police judiciaire » et « cadre des unités territoriales ». L’une de nos sources s’étonne : « Il est intéressant de noter que contrairement au programme de formation des officiers, la promotion actuelle n’a jamais fait les matières telles que : le droit pénal général, le droit pénal spécial, le droit administratif, Libertés Publiques, Procédure pénale, Procédure judiciaire et technique d’enquête, Rédaction administrative, Management des ressources humaines, Communication écrite et orale, Fonction publique policière, Renseignements généraux, ou Planification opérationnelle ». Les futures commissaires de police béninois auraient-ils donc été formés au rabais ?

« À vrai dire, ils n’avaient pas le niveau »

Malgré la réduction du nombre de matière, 49 candidats, tous détenteurs d’un Brevet de Commandement de Brigade, ont été recalés à l’issue des cinq (5) épreuves retenues. C’est là où les choses se sont compliquées.

Pour la haute hiérarchie policière, les résultats de cette première délibération n’étaient pas acceptables. Elle aurait donc longuement insisté auprès du jury pour que la délibération soit refaite, cette fois-ci en laissant de côté les notes obtenues en : « connaissances générales, spécifiques et professionnelles » et en « Police judiciaire ». Seules trois matières seront donc retenues pour cette deuxième délibération. Mais onze (11) des quarante-neuf (49) candidats resteront malgré tout à quai. « Pour dire vrai, la plupart des candidats étaient très loin du niveau minimum pour prétendre au grade d’officier. Certains écrivaient même au son », déplore un officier proche du dossier.

Tentative de corruption

Les résultats de cette deuxième délibération n’ont pas davantage plu aux candidats et à leurs parrains au sein de la haute hiérarchie policière. Voici le témoignage d’une autre source au sein de la police républicaine : « Après la deuxième délibération, le bureau de la promotion s’est rapproché des membres du jury avec une enveloppe financière colossale pour tenter de leur faire changer les résultats. Ils étaient accompagnés de leur parrain. Mais le jury a refusé et ils sont repartis ». Si notre enquête nous a permis de découvrir que le parrain en question était le contrôleur général Enoch Laourou, lui-même ex-gendarme, nous n’avons pas pu établir formellement si c’était lui qui portait l’enveloppe, ni s’il a personnellement demandé aux membres du jury de la prendre. Étaient-ils retournés vers le DGPR ? Certains membres du jury ont-ils discrètement été abordés en privée pour finalement accepter le pot-de-vin ? Toujours est-il que peu de temps après cette tentative, le jury a repris la délibération et a fini par proclamer admis tous les candidats qui ont composé. Une note de service (la note n°183 du 31 juillet 2023) officialisera quelques jours plus tard, l’admission de tous ces agents pour le diplôme d’officier de police.

Nécessité d’une enquête indépendante

Malgré les apparences, la (nouvelle) Police Républicaine voulue et obtenue par le chef de l’état est loin d’être un corps homogène. Les agents issus de l’ex police nationale et leurs collègues de l’ex gendarmerie nationale se livrent une guerre sans merci depuis la création de la Police Républicaine. Une rivalité qui pour l’instant, tourne à l’avantage des ex-gendarmes depuis que leur camarade Soumaïla Yaya est aux commandes de l’institution policière. Beaucoup d’ex-policiers estiment que le refus d’obtempérer aux injonctions de la cour suprême en son arrêt du 21 juin 2021 relatif au sort des 302 inspecteurs et officiers de paix qui attendent de porter leurs galons, traduirait un besoin viscéral de l’actuel direction de la police républicaine de rééquilibrer la répartition des grades d’officier entre les deux corps d’origine.

Mais la gravité des événements qui se sont enchaînés dans le cadre du processus qui a conduit à la promotion de ces 234 nouveaux officiers de police mériterait qu’on y voie clair. Pour ne pas allonger inutilement cet article, nous avons choisi de passer sur plusieurs autres faits graves enregistrés au cours du processus, tels que les cas avérés de falsification d’actes de naissance ou d’actes de nomination, ou encore des actes d’intimidation de certains membres du jury. Des faits d’autant plus inquiétants qu’ils ont été commis par des fonctionnaires censés faire respecter la loi. Les béninois n’avaient pas déjà beaucoup confiance en leur police, le dernier concours d’officiers à la police républicaine n’est pas fait pour les rassurer.

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