Contrairement à ce qui est distillé dans l’opinion, les dernières manœuvres de Patrice Talon ne visent pas en priorité un 3e mandat. Cerné par son opposition et miné de l’intérieur par ses propres soutiens, Patrice Talon manœuvre pour imposer à son camp Johannes Dagnon, son cousin et conseiller spécial. Mais la mouvance présidentielle se laissera-t-elle faire ?
Les Béninois surveillent les faits et gestes de leur Président et s’apprêtent à combattre un éventuel 3e mandat. Mais Patrice Talon, tel un félin, avance sans bruit pour contrôler sa succession en 2026. Patiemment et méthodiquement, avec le sang-froid qu’on lui connaît, le locataire de la Marina pousse ses pions pour éliminer, bloquer, désintégrer des prétendants de son camps au profit de Johannes Dagnon, son cousin et conseiller spécial. Olofofo vous fait entrer dans les coulisses d’une succession à haut risque pour Patrice Talon.
Le vendredi 22 décembre 2023, le Ministre de la justice, Yvon Détchénou a réuni au Novotel Orisha de Cotonou l’ensemble des présidents d’institution de la République. Ceux-ci étaient accompagnés de quelques-uns de leurs membres ainsi que de leurs cadres. L’objectif, selon le ministère de la justice, est de renforcer le dialogue entre les institutions et de parcourir le fonctionnement des institutions. Mais ce conclave était un prétexte. C’était en vérité l’acte 1, d’une stratégie murie par Patrice Talon pour contrôler sa succession. Les participants au conclave du Novotel ont-ils conscience qu’ils sont manœuvrés à des fins politiques ? On ne peut plus le cacher aujourd’hui, la question de la succession de l’actuel locataire de la Marina fait ravage dans les rangs de la mouvance présidentielle et divise les soutiens les plus fidèles du chef de l’État. La question oppose Patrice Talon à ses soutiens de la première heure. Ce sont ceux qu’on appelle ‘’les co-propriétaires du pouvoir’’ de Patrice Talon. Il s’agit d’Olivier Boko, Sévérin Quenum, Oswald Homéky, Joseph Djogbénou et Johannes Dagon.
Les militants du duo Talon-Boko croyaient, quant à eux, avoir trouvé en Olivier Boko, la meilleure formule. Pour eux, en 2026, Boko est le plus indiqué, le candidat idéal pour succéder à Talon. Car, comme Patrice Talon, Olivier Boko est un homme d’affaires. Il est le compagnon d’infortune du chef de l’État. Il a partagé l’exil avec lui et a contribué à la conquête du pouvoir. Pendant les huit dernières années, Olivier Boko a, estiment ses soutiens, appris le métier aux côtés du président Talon, il demeure son complice et son confident. C’est ensemble avec Patrice Talon qu’ils ont géré la classe politique, ballonné les “enfants terribles” de l’assemblée nationale, tué et enterré la vieille classe politique. C’est aussi ensemble qu’ils ont fait taire syndicalistes, “grandes gueules” de la société civile, médias critiques, et positionné leurs hommes-liges dans la police, dans l’armée, dans les tribunaux et au sein des institutions. C’est encore ensemble que Patrice Talon et Olivier Boko ont réprimé les manifestations et conservé le pouvoir malgré l’hostilité de la classe politique et la défiance des Béninois. C’est pour toutes ces raisons qu’Olivier Boko était perçu par certains partisans de Patrice Talon comme le candidat naturel de la rupture et le seul capable d’assurer la continuité du président sortant. Mais ce n’est pas l’analyse de Patrice Talon.
Olivier Boko est grillé
Les promoteurs de la candidature d’Olivier Boko, jusqu’au 23 décembre 2023, date de l’entretien télévisé du chef de l’État sur l’ORTB, ont ignoré tout de ce qui se tramait au sommet de l’État. Ils ignorent, peut-être aujourd’hui encore, ce qui oppose Patrice Talon à Olivier Boko. Patrice Talon ne veut pas de Boko et c’est de plus en plus clair dans l’esprit de chacun notamment des soutiens enthousiastes de ce dernier. Nos sources les plus renseignées avancent même que c’est la femme du chef de l’État et ses enfants qui seraient les plus opposés à la candidature d’Olivier Boko. « C’est le plan de succession le plus risqué pour la famille Talon », nous a confié un proche du chef de l’État. Ce qui était jusque-là une rumeur, est devenue une information. L’entretien du chef de l’État le 23 décembre 2023 sur l’ORTB a mis en déroute les soutiens d’Olivier Boko qui croyaient rouler à vive allure sur un boulevard vers la Marina, jusqu’à ce que Patrice Talon les fasse redescendre brutalement de leur nuage. En effet les déclarations de Patrice Talon au sujet des activités en faveur d’Olivier Boko sont formelles et cinglantes.
Depuis l’entretien télévisé du 23 décembre 2023, une chose est sûre : Olivier Boko est grillé. Il a maintenant le dos au mur et sait que pour assouvir ses ambitions présidentielles il va lui falloir de l’audace. Il va lui falloir défier son ami Patrice Talon, sa famille, et déjouer le guet-apens que son ami président lui a posé au sein des deux partis présidentiels. En attendant, tout ça, c’est la garde rapprochée d’Olivier Boko, les bras financiers et bras opérationnels de sa candidature qui sont les plus désemparés. Ils attendent la réaction d’orgueil de leur leader. Dès lors, beaucoup de questions taraudent l’esprit des Béninois. Si Olivier Boko n’est pas le candidat naturel de Patrice Talon, pour qui roule-t-il alors ? Qui est le véritable bénéficiaire des manœuvres politiques dont Patrice Talon a distribué les rôles aux institutions de la République et aux acteurs politiques ?
Il est vrai, avec ses sorties médiatiques en novembre et en décembre 2023 (trois en moins de deux mois) Patrice Talon a laissé transparaître de nombreux indices de son manque de sérénité. Il est préoccupé par sa succession. D’un côté, Olivier Boko et ses soutiens de l’intérieur semblent avoir encerclé Patrice Talon et ses deux partis politiques. « On voulait les prendre à la gorge et les étouffer politiquement », s’est confié un leader de la galaxie OB. De l’autre côté, Boni Yayi commençait à pointer son nez. À l’intérieur du Parti Les Démocrates, Patrice Talon a perdu son pari avec l’éviction d’Éric Houndété de la tête du parti d’opposition. Ainsi, la montée en puissance des mouvements en faveur de son ami Boko et le retour au-devant de la scène de Boni Yayi, son ennemi intime ont aggravé la peur de Patrice Talon de devoir quitter le pouvoir battu et livré à ses adversaires.
Talon travaille à installer Dagnon
Alors, retranché dans son palais, le chef de l’État met en exécution son plan de succession. Peu de gens au sein de l’entourage du président savent que c’est sur Johannes Dagnon que la famille Talon fonde ses espoirs pour conserver le pouvoir. La dernière bataille de Patrice Talon est ainsi d’imposer son cousin, son conseiller spécial, Johannes Dagnon à son camp et réussir à le faire proclamer président de la République par la cour constitutionnelle quel que soit le vote des Béninois.
Le scénario est osé pour qui connaît Johannes Dagnon. Johannes Dagnon est un membre de la famille biologique Talon. C’est un cousin direct de Patrice Talon, son conseiller spécial à la présidence et le patron du fameux Bureau d’Analyse et d’Investigation (BAI) à la manœuvre de tous les projets du PAG depuis 2016. Depuis des décennies, Johannes Dagnon, à la tête du Cabinet Fiduciaire d’Afrique, fut l’expert-comptable des sociétés Talon. Pour Patrice Talon en exil, Dagnon a fait la prison dans l’affaire de la tentative de coup d’état en 2013. Johannes Dagnon, c’est l’éminence grise du président de la République. Il est surtout son choix le plus rassurant. Il estime qu’aucun coup bas ne peut venir de son cousin, et que c’est le seul de son entourage qui peut protéger ses arrières et les intérêts économiques de la famille.
Mais le hic, c’est l’homme Johannes Dagnon lui-même. Inconnu des Béninois, et impopulaire auprès des cadres et hommes politiques pour ‘’son arrogance et le dédain avec lequel il traite les politiciens’’ (sic), ceux qui connaissent le dauphin de Patrice Talon, disent que Dagnon a toutes les qualités pour ne pas faire la politique. L’on retrouve dans le caractère du conseiller spécial, le cousin et le dauphin, tous les défauts du technocrate froid, distant et méprisant. Bref, ses propres collaborateurs et les cadres de la mouvance présidentielle disent que le Patron du BAI n’est bon que pour servir les seuls intérêts de la famille Talon mais pas pour être président de la République. Comment réussir à installer un tel homme comme l’unique candidat de l’UP-R et du BR et rallier à sa cause, MOELE-Bénin et si possible les FCBE. Tel est le casse-tête que Patrice Talon cherche à régler. C’est pour couronner son cousin que le président Talon a « tué » tous les prétendants légitimes de son camp. C’est pour Dagnon qu’il a démonétisé Joseph Djogbénou, laissé pour mort à la tête de l’UP-R. C’est encore pour lui qu’il est en train de démanteler toute la galaxie Boko. C’est toujours pour faire la place à son cousin, que le président Talon tire les ficelles dans l’ombre et manipule à tout va lois, juges et députés. Mais tout ce monde sait-il que la stratégie qu’ils exécutent les yeux fermés, vise à barrer la voie à Olivier Boko et à installer Johannes Dagnon le cousin de Patrice Talon pour diriger le Bénin pour 10 ans de plus ?
La stratégie
Le 22 décembre 2023 dans une des salles de réunion de l’hôtel Novotel, sous la houlette de Yvon Détchénou, Ministre de la justice, les présidents d’institution ont joué la partition que Patrice Talon leur a confiée. Tous en chœur, ils ont inauguré la stratégie politique du Chef de l’État en posant les bases d’une supposée « refonte totale du système », du système que le président Talon est fier d’avoir bien réformé et qui selon lui, marche très bien. C’était l’acte 1 de la stratégie.
Dans la foulée, l’acte 2 de la stratégie de Patrice Talon pour imposer son cousin Dagnon a été joué par la Cour constitutionnelle. Le 4 janvier 2024, conformément à ce qu’Olofofo annonçait depuis le 9 décembre, la cour Sossa a rendu une décision ordonnant à l’Assemblée nationale de modifier le dispositif sur le parrainage. Avec la décision DCC 24-001 du 4 janvier 2024, la Cour Sossa a joué sa partition.
L’acte 3 de la stratégie de Patrice Talon se jouera dans les jours à venir à l’Assemblée nationale. Selon les informations parvenues à notre rédaction, la mise en œuvre de la décision de la cour est un vrai traquenard. C’est une boîte de pandore, car c’est à ce niveau que la troupe d’Orden Alladatin un autre cousin de Patrice Talon, verrouillera définitivement le système et fermera la porte au nez des candidats récalcitrants. Il s’agit de profiter de la mise en conformité demandée par la cour pour faire entrer le loup dans la bergerie.
En quoi consistera le nouveau plan de Talon ?
La mission que conduira Orden Alladatin est capitale. La commission des lois veut atteindre deux objectifs : premièrement, Patrice Talon veut retirer le parrainage aux députés et aux maires dont il sait que la majorité d’entre eux est acquise à la cause de son ami Boko et futur adversaire. Pour ce faire, il va mettre dans la loi que désormais, pour que le parrainage d’un député ou d’un maire soit valable, il doit être contresigné par le président de son parti. Ainsi, le député ou le maire rebelle qui est favorable à un candidat autre que Johannes Dagnon, n’aura pas la signature de son chef de parti. Dans ces conditions, le parrainage devient inutilisable. C’est le premier piège. Deuxièmement, Patrice Talon tentera d’empêcher Olivier Boko de traverser la voie pour aller chez l’ennemi. Une fois que la porte des deux partis de la mouvance, l’UP-R et le BR seront fermés au nez de Boko, le pouvoir veut rendre impossible que Boko obtienne le parrainage des députés Démocrates. Pour cela, le code électoral pourrait désormais exiger que pour être candidat d’un parti à l’élection présidentielle, il faut au préalable être membre du parti depuis des années. C’est le deuxième piège.
Il faut se souvenir que déjà en 2019, après les législatives ensanglantées d’avril et les violences qui ont embrasé le pays au mois de mai, Patrice Talon avait placé le parrainage. L’objectif de la révision constitutionnelle de novembre 2019 et de la modification du code électoral quelques jours plus tard était alors de verrouiller le système. On savait à l’époque que le parrainage visait à barrer la voie au Professeur Joël Aïvo seul candidat ayant investi le terrain à travers son “dialogue itinérant”. À la fin, l’institution du parrainage a permis à Patrice Talon de se protéger des menaces extérieures, de se mettre à l’abri d’une compétition dans laquelle il redoutait d’affronter un candidat qu’il n’a pas choisi.
La nouvelle manœuvre de Patrice Talon vise à permettre au système de 2019 de prendre en compte les menaces internes. C’est contre ses propres partisans que Patrice Talon tente de reviser la Constitution et le code électoral pour leur imposer ses choix personnels et son cousin, Johannes Dagnon.
En 2024, la hantise de Patrice Talon est double.La première peur du Président Talon est que les Béninois portent à la tête de l’État un opposant radical. La seconde est que Olivier Boko, son ami et complice s’impose à lui et parvienne à mobiliser sans lui le personnel politique qu’ils ont ensemble manipulé pendant 10 ans. Dans les deux cas, le président Béninois laisserait à nu sa gestion économique et les choix financiers qu’il a eu à faire entre 2016 et 2026. Dans l’un ou l’autre des cas, Patrice Talon n’est à l’abri de rien. C’est cette peur qui pousse la famille Talon à privilégier Johannes Dagnon, le cousin dont il ne craignent rien.
Le problème est que le président Talon ne peut parvenir à aucun de ses objectifs sans manipuler les mêmes députés et les mêmes soutiens politiques qui détestent Johannes Dagnon, caressent le rêve de se débarrasser de Talon lui-même et de tourner la page de 10 ans de tensions et de règlement de compte.