Le système Bongo s’est-il débarrassé d’Ali Bongo pour survivre et mieux se conserver ? Moins de deux semaines après l’entrée en scène du général Brice Clotaire Oligui, des doutes subsistent sur l’origine du putsch qui a renversé Ali Bongo et sur l’espoir d’un réel changement pour les Gabonais.
La vie a repris son cours normal au Gabon depuis le coup d’état qui a renversé Ali Bongo Ondimba le 30 août dernier. En fin de semaine dernière, l’ancien chef de la garde présidentielle, le Général Brice Clotaire Olingui Nguéma, a publié la liste de son gouvernement. Moins d’une semaine plus tôt, il était officiellement investi dans ses nouvelles fonctions de chef d’état. Le tout, dans une complaisance inhabituelle des institutions internationales et de la France (ancienne métropole coloniale), pour les derniers putschs survenus sur le continent.
Si les Gabonais étaient sortis massivement dans les rues après le putsch pour fêter la « libération du Gabon », il subsiste néanmoins des doutes sur la sincérité de ce coup d’État militaire, et sur les espoirs d’un réel changement pour la vie des gabonais. D’autant plus que les premières décisions du Général Olingui tendent à faire croire que moins que le système, le putsch viserait d’abord et avant tout à éjecter le président Ali Bongo d’un système que ses capacités physiques ne lui permettent plus de contrôler et de diriger.
Des rumeurs non encore vérifiées soupçonnent Pascaline Bongo, la sœur et « impitoyable rivale » d’Ali Bongo, d’être derrière cette « révolution de palais » contre son frère. Considérablement diminué après son accident vasculaire cérébral, Ali Bongo apparaissait en effet aux yeux de plusieurs caciques du régime, trop faible pour protéger le pouvoir et le patrimoine familial. La goutte d’eau de trop serait son projet de transmettre le pouvoir à son fils Valentin Nourredine Bongo.
Les caciques du système Bongo toujours en place
Pour l’instant, dans l’impossibilité de vérifier ces allégations. Les observateurs scrutent les décisions du nouvel homme fort de Libreville pour tenter d’y trouver des indices. Et Brice Oligui n’en n’a pas vraiment été avare. Son cabinet sera rempli d’anciens collaborateurs d’Ali Bongo. Le retour le plus remarquable est celui de Guy Rossatanga-Rignault. Juriste et politiste, il a servi Omar Bongo, puis son fils durant de longues années. Le général Oligui l’a réinstallé dans les fonctions de secrétaire général de la présidence qu’il connait bien, pour les avoir occupées entre 2016 et 2018. Présenté comme « le véritable mécanicien de la transition, l’interlocuteur prioritaire lors des tractations », sa nomination est regardée avec beaucoup de suspicion par l’opposition gabonaise. Tout comme lui, Arthur Lemamy est nommé au poste de directeur de cabinet, un poste qu’il occupait auparavant auprès de la présidente de la Cour constitutionnelle. Celle-là même qui a proclamé « les résultats tronqués » de l’élection présidentielle, selon les propres termes du général Oligui.
Plusieurs cadres et même d’anciens ministres sont aussi nommés à la tête des différents départements. « Le président semble réutiliser des professionnels compétents », salue un cadre de l’ancienne majorité. Parmi les personnes en place au plus haut niveau, il y a également le directeur du protocole d’état, François Epouta qui conserve son poste.
Paris, bienveillant
Quelques jours ont suffi par ailleurs suite pour convaincre le président déchu de renoncer définitivement au pouvoir avant de lui rendre sa liberté. Le général putschiste ne s’est pas trop démerdé non plus pour trouver un Premier ministre, qui avait pourtant participé au régime Bongo par le passé. C’est aussi par ses soins personnels que sont désignés les membres des institutions devant conduire la transition. Il a nommé tout seul, les 09 conseillers ainsi que le président de la cour constitutionnelle. Puis les bureaux des deux chambres du parlement dans lesquels il a redéployé plusieurs caciques du régime déchu.
Par ailleurs, contrairement aux trois précédents coups d’état survenus en Afrique la pression internationale ne s’est quasiment pas fait ressentir sur la junte gabonaise. Sur le continent, seule la Communauté Économique des États d’Afrique Centrale (CEEAC) a imposé des sanctions économiques au Gabon avec l’Union Africaine qui suspend le pays de ses instances. Mais la réaction qui était surveillée était celle de Paris qui, comme au Niger, a de gros intérêts stratégiques au Gabon. Suite au coup d’état du Niger, l’Elysée et le Quai d’Orsay n’ont eu de cesse de marteler à leur rejet catégorique des coups et des autorités qui en sont issues. Alors que le président Emmanuel Macron est dans un bras de fer avec la junte nigérienne au sujet de son ambassadeur à Niamey, Paris semble avoir rapidement adoubé les autorités gabonaises issues du putsch du 30 août. Son ambassadeur à Libreville s’est déplacé personnellement pour aller à la rencontre du chef des putschistes avec qui il a discuté dans l’enceinte même du palais présidentiel. Preuve que la France ne compte pas traiter tous les régimes issus d’un coup d’État de la même manière.
Tout cela se passe depuis le 30 août 2023 sans qu’un calendrier fixe ne soit connu pour la transition. Seule la durée a été brièvement évoquée par le Premier ministre Raymond Ndong Sima. Ce dernier a déclaré le dimanche 10 septembre que « l’objectif raisonnable » serait celui d’une transition de 24 mois. Le Gabon aura ainsi le temps de préparer et organiser des élections libres et transparentes ajoute-t-il sans exclure que le délai de la transition pourrait être « légèrement supérieur ou inférieur » aux deux ans. Pour l’heure, c’est donc ce à quoi il faudra s’en tenir par rapport au temps que les militaires auront à passer à la tête du pays avant de réinstaller les civils au pouvoir.
Ali Bongo était-il devenu un boulet pour le système ? À Travers le putsch du 30 août, le régime installé depuis les années 1968 par Omar Bongo Ondimba se serait-il débarrassé d’un maillon devenu trop faible afin de mieux de perpétuer. De plus en plus d’analystes s’en disent convaincus.