Crise à la CBDH : le mal était profond

Qu’est-ce qui a poussé les membres de la commission béninoise des droits de l’homme à destituer et à révoquer leur président le 23 octobre dernier ? L’assemblée générale des commissaires qui s’était tenue juste avant l’annonce de cette décision lui reprochait des faits de conflits d’intérêts, de dilapidation des fonds, de légèreté dans le traitement de la PRMP et d’abus de fonction. Des accusations extrêmement graves qu’Olofofo a décidé de creuser pour ses lecteurs.

Conflit d’intérêts

Le problème a commencé dès l’installation de la commission. Fidèle d’une église évangélique, le Ministère International Terre de Canaan (MITC), le président de la CBDH aurait recruté deux de ses paroissiens, la secrétaire particulière et la Personne Responsable des Marchés Publics (PRMP) « sans appel à candidatures », nous renseigne une source interne. En conséquence, le couple de prédicateurs, Maxime G. Eliel et son épouse, Adeline Agbangla se seraient vu attribuer de nombreux marchés portant sur plusieurs millions de francs CFA, en violation du Code d’éthique et de déontologie dans la commande publique. Ledit code proscrit l’attribution de Marchés Publics à des membres de famille, des personnes proches ou avec lesquelles il y a des relations d’affaires, politiques ou religieuses.
Entre des marchés de télécommunication, de fournitures de bureau ou de location de voitures, le pasteur et son épouse s’en seraient sortis avec près de 15 millions de contrat, passé « sans appel d’offres », insiste notre source. Pire, « le président déchu a ordonné le paiement de factures non normalisées sans registre de commerce ni d’IFU et sans faire prélever la TVA au profit de l’État », se désole un autre commissaire. Des irrégularités dont l’intéressé aurait même tenté d’effacer les traces en soustrayant le 29 septembre 2022, tout le stock du rapport financier d’exécution du Budget exercice 2020. À la page 18 du rapport du 4ème trimestre, figurait le nom de l’entreprise « ELIEL & Fils » dont le Gestionnaire et signataire est dame Adéline Fifamè AGBANGLA, épouse du pasteur de l’église que fréquente le président Capo-Chichi.

Dilapidation des fonds de la CBDH

« En seulement quatre années d’exercice, monsieur Capo-Chichi est déjà à son 4e assistant », soupire un conseiller. Un turn over qui coûte d’autant plus cher aux finances de la commission que certains parmi eux se sont plaints de licenciements abusifs à la direction générale du travail et de la main-d’œuvre et ont obtenu une indemnisation d’environ 4,7 millions de francs CFA. Montant consenti sans une délibération préalable du Bureau Exécutif de la CBDH ou de l’Assemblée Générale des Commissaires. Chose curieuse, l’une des personnes indemnisées, le sieur Rodrigue AGBANGLA, se trouve être le jeune frère de la femme du pasteur de l’église du président Capo-Chichi.

Légèreté dans le traitement de la PRMP

Les commissaires reprochent à leur désormais ex-président, l’insalubrité dans laquelle végètent les locaux de la CBDH. Une insalubrité due selon eux, au fait que la PRMP n’a pas fait les procédures nécessaires à la passation du Marché Public relatif au balayage et à l’entretien des locaux, alors même que depuis le 1er janvier 2023, le plan de travail annuel 2023 de la CBDH a affecté des crédits pour pouvoir assurer ce service. Ils reprochent à monsieur Capo-Chichi sa passivité devant un tel manquement.

Abus d’autorité et de fonction

À tout ceci s’ajoutent les décisions prises de façon unilatérale par le président. Comme par exemple la réallocation de crédits, ou la modification de documents juridiques. C’est ainsi que le 26 avril 2023, à l’insu des membres de son Bureau Exécutif ainsi que de l’Assemblée Générale des Commissaires, Clément Capo-Chichi aurait procédé, en intelligence avec le Directeur Administratif et financier, au détournement de crédit prévus pour d’autres fins.

Par ailleurs, l’ex-président se serait permis de modifier à lui tout seul un projet de texte portant modification de la loi sur la création de la CBDH. Une réforme initiée par le gouvernement pour compléter les prérogatives de la CBDH, notamment en matière de prévention contre la torture. Monsieur Capo-Chichi l’aurait fait et l’aurait transmis en mars dernier au garde des sceaux, sans jamais y associer les commissaires.

« Je préfère laisser la justice trancher »

Conformément au règlement intérieur de la CBDH (article 27 alinéa 5) monsieur Clément Capo-Chichi a saisi la cour constitutionnelle aux fins de l’annulation de la délibération du 23 octobre. En attendant, il se refuse à tout commentaire sur les griefs de ses collègues. « J’ai préféré ne pas réagir aux accusations sur les réseaux sociaux, la justice est là pour cela (…) c’est ainsi plus digne de la charge que je porte et plus respectueux des institutions de la République », tranche-t-il. Sauf pour la réforme de la loi portant création de la CBDH. Sur ce dossier, monsieur Capo-Chichi a une petite idée : « les commissaires actuels n’y trouvent pas leur compte (dans la réforme de la loi, ndlr) bien que le gouvernement nous ait associé à l’étude et à l’adoption de l’avant projet de texte », précise-t-il.
Pourtant, selon lui, les enjeux pour le pays sont colossaux. Il permettrait à la commission de conserver son « statut A » des organisations de défense des droits humains et d’abriter le Mécanisme National de Prévention de la Torture conformément aux engagements internationaux du Bénin. « Le renouvellement au mérite des membres de la Commission Béninoise des Droits de l’Homme, c’est tout l’enjeu de la campagne de dénigrement lancée contre moi », assure Clément Capo-Chichi, qui poursuit : « j’ai décidé de porter cette réforme aux côtés du Gouvernement pour la crédibilité de notre pays. Et cela il faut me le faire payer ».

« Il ment »

Clément Capo-Chichi est en convaincu, il n’est que la victime d’une machination vengeresse d’un groupe de commissaires qui craindraient de ne pas être reconduits, parce qu’ils seraient non-méritants. Une ligne de défense qui a le don d’irriter ses collègues. Contacté pour réagir, l’un d’entre eux a déclaré sans ambages : « Il ment. Il a toujours menti dans presque toutes ses déclarations et écrits parce que la question de la réforme qu’il évoque ne dépend pas des membres de La Commission mais du Gouvernement qui en a l’initiative exclusive ».

Il faut signaler que parallèlement à la procédure devant la cour constitutionnelle, l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), la Brigade économique et Financière (BEF) et la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET) enquêtent déjà sur les soupçons de manquements à l’orthodoxie financière. Beaucoup d’observateurs craignent que ce dossier ne ternisse la réputation de la Commission au plan international.

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