À travers le discours du Togo à la 78e assemblée générale des nations unies, beaucoup ont découvert un réajustement idéologique qui commence pourtant à dater. Lomé tente de couper l’herbe sous le pied de ceux qui le présentent encore comme un bastion de la Françafrique.
Les principales figures actuelles du panafricanisme sont peut-être encore trop surprises ou trop prudents pour se prononcer. Mais le discours, présenté le 21 septembre dernier à la tribune des nations unies par le ministre togolais des affaires étrangères, Robert Dussey, a pris un peu tout le monde de court par son audace et son caractère offensif sur « les injustices » et « le paternalisme » que subissent les pays africains et plus largement les pays pauvres de la part des occidentaux. Intervenant au nom du président de la république, le chef de la diplomatie togolaise avait en effet joint la voix de son pays à celles notamment du Burkina Faso, du Mali ou de la Guinée pour crier son ras-le-bol de l’attitude ‘’condescendante’’ et ‘’arrogante’’ des occidentaux vis-à-vis des états africains. « L’Afrique sait ce qu’elle veut (…) Les peuples africains et du Sud global sont frustrés car ils se sentent insultés, déshumanisés (…) Le temps où d’autres entités prétendaient parler au nom d’une Afrique qu’elles n’écoutent même pas (…) est révolu. Les partenaires de l’Afrique, nouveaux ou anciens, qui hésitent encore à accepter la nouvelle trajectoire prise par l’Afrique (…) doivent changer d’attitude, d’approche dans une Afrique qui a profondément changé », a lancé le professeur Robert Dussey.
« Nous sommes fatigués »
Pour l’ancien diplomate congolais Henri Désiré N’Zouzi la plupart des discours africains entendus lors de cette 78e Assemblée Générale de l’ONU traduisent une certaine désinhibition des anciens pays colonisés face à leurs ex-métropoles qui commencent à présenter quelques signes de fragilité dus aux bouleversements géopolitiques en cours depuis quelques années. Empêtrés dans la guerre en Ukraine, harcelés, conspués et chassés de leurs pré-carrés africains, les pays occidentaux ne sont en effet plus aussi craints par les dirigeants africains que par le passé. Contrairement à leurs aînés, la nouvelle génération de dirigeants africains peut compter sur une opinion publique informée et de plus en plus hostile à la domination occidentale. D’ailleurs, le professeur Dussey n’a pas hésité à se poser en porte-parole de la jeunesse africaine : « En somme pour la jeunesse africaine, nous sommes fatigués par votre paternalisme, par votre mépris de nos opinions publiques, votre mépris de nos populations et de nos dirigeants et par votre arrogance », martèle Robert Dussey.
Opportunisme idéologique…
Pourtant, le pouvoir togolais, en place depuis le lendemain des indépendances, est ouvertement ciblée par les militants panafricanistes. Ils lui reprochent d’être « l’un des derniers bastions de la Françafrique ». Il faut dire que comme beaucoup d’ex-colonies françaises, le pouvoir de Lomé, principalement sous le Président, Gassingbé Éyadéma, a entretenu avec la France des liens qui passent très mal aujourd’hui auprès de la jeunesse africaine. En Septembre 1986 suite à une agression extérieure venant du Ghana voisin et qui a échoué, la France y a déployé des moyens militaires pour protéger le régime de feu Gnassingbé Eyadéma « conformément à un accord de défense signé en 1963 », précisera la télévision publique française dans son journal du 25 septembre 1986. Il n’en faut pas plus pour que beaucoup de critiques, notamment sur les réseaux sociaux, soupçonnent le pouvoir de Faure Gnassingbé « d’opportunisme idéologique » ou l’accusent de « tentative de récupération », à la suite du discours du patron de la diplomatie togolaise à la 78e assemblée générale des nations unies.
… ou panafricanisme convaincu ?
Le pouvoir togolais tenterait-il donc de resquiller dans un wagon dont il serait l’une cible, ou au contraire, a-t-il effectivement coupé le cordon ombilical avec Paris ? À Lomé la question ne se pose même pas et l’on ne veut pas se laisser ébranler par « des suspicions exprimées par des personnes qui n’observent pas les mutations profondes qui se produisent dans notre pays et qui ont découvert la doctrine panafricaniste du Togo, seulement le 21 septembre dernier », analyse Yaovi Amegah, un étudiant en fin de cycle de master à l’Université de Lomé.
Si la France a pu être jusqu’à une certaine époque la puissance la plus influente dans les affaires politiques et économiques du Togo, elle a perdu beaucoup de terrain dans le pays depuis la mort du général Gnassingbé Éyadéma. Le discours du 21 septembre 2023 n’est que le dernier épisode d’une longue série d’actes posés depuis plusieurs années par le gouvernement du président Faure Gnassingbé dans le sens de la diversification de ses partenaires et de la priorisation des intérêts du Togo. Au grand dam de Paris, le pays a validé l’année dernière son adhésion en tant que membre du Commonwealth, principale rivale de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Dans ce cadre, l’apprentissage de l’anglais est rendu obligatoire depuis cette année scolaire pour les petits écoliers togolais.
Lomé accueillera également en fin d’année prochaine, le 9e congrès panafricain. Un véritable défi après le fiasco de l’édition qui était organisée en Afrique du Sud, en 2014 et qui s’était terminé en queue de poisson du fait des querelles intestines entre l’Afrique du Sud et les pays maghrébins. Mais les enjeux sont loin d’effrayer les autorités togolaises : « Nous voulons réunir tous les panafricanistes autour de ce 9e congrès », avait affiché le ministre Dussey lors du lancement des préparatifs de ce congrès, avant de faire remarquer que « la part faite à l’Afrique dans la marche du monde aujourd’hui est inacceptable, et le panafricanisme reste une chance pour l’Afrique, les africains et les personnes d’ascendance africaine dans le monde ».
Niger
Mais plus que tout, c’est la posture du pays dans la gestion de la crise politique au Niger qui le rend pour l’instant inattaquable par les soutiens idéologiques des putschistes nigériens. Non seulement Lomé ne s’est jamais associé au projet d’intervention militaire contre le CNSP, mais il n’aurait pas non plus fait preuve de beaucoup de zèle dans la mise en œuvre des sanctions économiques prises contre le Niger. Une position qu’il a assumée ouvertement le 21 septembre à la face du monde. « Depuis notre indépendance, jamais le Togo a fait la guerre à ses voisins, jamais le Togo a agressé ses voisins ou un quelconque pays, jamais nous n’avons servi de base arrière pour une quelconque agression contre un pays frère », a-t-il lancé en égratignant au passage tous les pays de la CEDEAO qui voulaient envoyer des troupes et des armements contre les nouvelles autorités du Niger.
Depuis 2020, le panafricanisme d’État est représenté par le Mali, le Burkina et dans une certaine mesure, la Guinée et le Niger, tous dirigés par des juntes militaires ayant renversé des présidents civils issus de processus électoraux plus ou moins démocratiques. Adoubés par les leaders idéologiques du mouvement, ils apparaissent aux yeux de ces derniers comme les plus légitimes pour incarner le renouveau du continent. Comment comptent-ils donc traiter le Togo, un pays politiquement aux antipodes des quatre cités précédemment, mais presque autant engagé qu’eux pour la promotion des idéaux souverainistes du panafricanisme ? Lomé lui-même éprouve-t-il le besoin d’aller chercher de la légitimité auprès de ces mouvements ? Difficile à dire. Une chose semble par contre se confirmer : les leaders panafricanistes hésitent désormais à traiter le régime togolais comme ils traitent ceux des présidents Alassane Ouattara de Côte-d’Ivoire, Patrice Talon du Bénin, ou encore celui du sénégalais Macky Sall.
2 commentaires
Comments are closed.