Cotonou et Lomé sont au bord d’une crise diplomatique après l’enlèvement et l’exfiltration d’un opposant béninois réfugié à Lomé. Sans précédent dans l’histoire des relations entre les deux États, l’opération menée par les services béninois est vécue comme une provocation à Lomé.
Par Julien Coovi
C’est sans doute le branle-bas dans les centres du pouvoir de Lomé. Et pour cause, l’incident de ce début de semaine ne s’était jamais produit auparavant dans l’histoire des relations entre les deux voisins. La nuit du 12 août dernier, un célèbre activiste béninois réfugié à Lomé depuis plusieurs années, a été kidnappé devant l’immeuble où il logeait. Il sonnait environ 22h 30, ce lundi 12 août 2024, quand le célèbre chroniqueur politique Steve Amoussou, plus connu sous le nom de Frère Hounvi, a été kidnappé dans une rue à Adidogonmè, un quartier résidentiel de la banlieue ouest de Lomé. Plusieurs témoins racontent que l’activiste a été emmené manu militari dans un véhicule 4X4 de couleur grise avec une immatriculation béninoise, par des individus non identifiés. Les cris des riverains et le caillassage du véhicule n’ont pas pu empêcher les ravisseurs, manifestement très bien entraînés, de conduire à bout leur opération. Aussitôt alertée, la police togolaise qui n’a visiblement pas été prévenue de cette opération, n’a pas réussi non plus à intercepter les ravisseurs. Selon plusieurs de ses proches dont l’homme d’affaires Martin Rodriguez, le Frère Hounvi aurait été enlevé par des agents béninois et exfiltré à Cotonou immédiatement après son kidnapping. Plusieurs sources contactées par Olofofo indiquent qu’il est entre les mains des autorités béninoises.
Incident diplomatique
Journaliste et producteur de formation, Steve Amoussou (à l’État civil) est devenu sous le pseudonyme de Frère Hounvi, l’une des voix les plus suivies de l’opposition béninoise en exil. Ses chroniques au vitriol sur la gouvernance du président Patrice Talon sont devenues un rendez-vous immanquable pour les sympathisants de l’opposition et plus globalement, pour les adversaires du régime Talon. Ses amis témoignent qu’il était obligé de vivre dans la clandestinité depuis son départ en exil parce qu’il savait depuis ce moment que sa vie était en danger. Pour l’heure, plusieurs questions restent sans réponse sur les circonstances exactes de cet enlèvement, sur l’endroit où l’activiste est détenu et sur le sort qui lui est réservé. Mais si sa présence à Cotonou se confirme, il provoquerait sans nul doute une nouvelle escalade dans les tensions larvées qui persistent entre les deux gouvernements depuis l’arrestation et la condamnation à 20 ans de prison pour « financement du terrorisme » de madame Reckya Madougou, une ancienne conseillère technique du président qui a tenté d’être candidate à l’élection présidentielle d’avril 2021. Dans un entretien accordé à RFI et France 24 le 30 avril 2021, le président Patrice Talon avait laissé entendre que madame Madougou avait débarqué d’un pays voisin avec des valises remplies de billets de banque pour déstabiliser son pays. L’accusation du président Talon n’avait pas provoqué une réaction officielle de la part de son homologue togolais. Mais depuis lors, les deux chefs d’État se regardent en chiens de faïence.
Messages aux opposants et au pouvoir togolais
Nos sources indiquent également que Steve Amoussou, alias Frère Hounvi, était détenteur d’une carte de réfugié délivrée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. À ce titre et conformément au droit international, il était sous la protection des autorités togolaises. Tout indique que ces dernières n’ont pas été prévenues de cette opération menée de toute évidence par les services béninois, sur leur sol. « Cette opération est une véritable provocation, analyse un commentateur togolais. Une énième provocation dans un contexte diplomatique déjà tendu entre les deux pays », poursuit-il. Joint par Olofofo, l’analyse de cet ancien officier des forces armées béninoises opérant désormais dans la sécurité privée est sans appel : « en planifiant et en exécutant sans la moindre difficulté une opération aussi audacieuse sur le sol de son voisin, le gouvernement béninois envoie deux messages : non seulement il indique à ses opposants que réfugiés ou pas, ils ne sont en sécurité nulle part ; mais en plus, il indique aux autorités togolaises qu’il a les moyens de déjouer leurs dispositifs sécuritaires et d’opérer sur leur sol ». Les autorités togolaises n’ont pas encore réagi à cet incident.